samedi 22 novembre 2014

289. "Les corons" de Pierre Bachelet (1982)

Terrils vus de Vimy (photo@vservat)

Au nord, c'était les corons
La terre, c'était le charbon
Le ciel, c’était l'horizon
Les hommes, des mineurs de fond

Nos fenêtres donnaient sur des fenêtres semblables
Et la pluie mouillait mon cartable
Mais mon père en rentrant avait les yeux si bleus
Que je croyais voir le ciel bleu
J'apprenais mes leçons la joue contre son bras
Je crois qu'il était fier de moi
Il était généreux comme ceux du pays
Et je lui dois ce que je suis

Au nord c'était les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes de mineurs de fond

Et c'était mon enfance et elle était heureuse
Dans la buée des lessiveuses
Et j'avais les terrils à défaut de montagne
D'en haut je voyais la campagne
Mon père était gueule noire comme l'étaient ses parents
Ma mère avait des cheveux blancs
Ils étaient de la fosse comme on est d'un pays
Grâce à eux je sais qui je suis

Au nord c'était les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes de mineurs de fond

Y avait à la mairie le jour de la kermesse
Une photo de Jean Jaurès
Et chaque verre de vin était un diamant rose
Posé sur fond de silicose
Ils parlaient de trente six et des coups de grisous
Des accidents du fond du trou
Ils aimaient leur métier comme on aime un pays
C'est avec eux que j'ai compris

Au nord c'était les corons
La terre c'était le charbon
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes des mineurs de fond
Le ciel c'était l'horizon
Les hommes de mineurs de fond



Le texte est écrit à l’imparfait. Les corons sont encore là mais  les mineurs de fond ne sortent plus de charbon du sous-sol du Nord et du Pas de Calais. Aujourd’hui, le Nord, ce sont des propositions qui, agglomérées, forment un ensemble plutôt iconoclaste : de Bienvenue chez les Chti à la Piscine de Roubaix[1], du chaudron de Lens au grand stade de Lille, des Bourgeois de Calais[2] qui regardent la détresse des migrants au P’ti Quinquin qui révolutionne la grammaire des  séries télé… un cocktail unique, reflet d’un coin de France attachant, desservi par des indicateurs sociaux parmi les plus polarisés de l’Hexagone, qui fascine, pourtant, par ses projets de revivification urbaine et culturelle.

La galerie des temps du Louvre Lens (photo@Vservat)
C’est peut être à l’entrée du Louvre Lens que l’on perçoit le mieux ce dialogue des temps. A l’abri de ces murs de verre s’enchainent, depuis septembre 2012[3], de prestigieuses expositions. Une galerie des temps offre aux visiteurs un parcours incroyable à la découverte des collections du Louvre : décloisonné, ouvert, lumineux.


Au dehors, la ligne d’horizon se brise sur deux singulières pyramides. Elles aussi sont des témoins de l’Histoire, d’une Histoire qui a déjà son musée non loin de là, à Lewarde[4], mais que l’on peine à enfermer totalement entre des murs tant elle recouvre de vastes aspects de la vie des hommes et des femmes de cette région, tant il est difficile de la confronter, parfois, à nos imaginaires, à nos représentations nourris des fresques de Zola.

Entrée du Louvre Lens (photo@vservat)
Ces deux Khéops noirs[5] sont des terri(l)s[6], survivances d’un monde englouti qui fit pourtant prospérer l’Europe Occidentale jusqu’au milieu du XXème siècle, qui cimenta les vies et les identités de milliers de personnes en une vaste parentèle dont les héritiers connurent des fortunes diverses jusqu’à ce jour de décembre 1990 lorsque la dernière berline remonta au jour sur la fosse de Oignies.
Berline. (photo@vservat - Lewarde)

Au nord c’était les Corons.

La terre c’était le charbon, les hommes de mineurs de fond.

Germinal a associé le XIXème siècle à la mine. C’est pourtant au mitan du siècle précédent que l’on situe le démarrage de cette activité extractive. En effet, la première compagnie minière du Nord, la compagnie d’Anzin, est fondée en 1757. Comme celles d’Aniche, de Douchy ou d’autres qui lui sont postérieures, ces entreprises vont se lancer dans l’exploitation d’un gigantesque bassin minier - le deuxième d’Europe après celui de la Ruhr - long de 120 km, large de 12. 600 puits y seront installés, 10 000 km de galeries y seront creusés. En 270 ans d’exploitation, 2 milliards de tonnes de charbon vont sortir de ses entrailles.

Haut de chevalement (photo@vservat - Lewarde
Le développement des compagnies minières est alors assez fulgurant. Fleuron du capitalisme industriel, la compagnie d’Anzin, à la veille de la Révolution Française, du haut de ses 30 ans d’existence, compte  4000 employés ; elle réalise déjà la moitié de la production nationale ! Jusqu’en 1944, lorsqu’elles seront nationalisées, les différentes compagnies minières tirent leur charbon de concessions, c’est à dire de portions de terrains délimitées sur lesquelles elles peuvent procéder à l’extraction de la houille. Celles-ci, d’abord octroyées par ordonnance royale le furent ensuite par le conseil d’état. Située sur le flanc oriental du bassin minier, La compagnie d’Anzin, avec ses 28 000 hectares possède la plus vaste ; celle d’Aniche, sa voisine atteint les 12 000 hectares. Plus centrale et modeste en superficie, la concession des mines de Courrières, obtenue en 1852, est une des plus productive et puissante à la fin du XIXème siècle. L’exploitation du bassin se fait dans un mouvement qui s’apparente à une conquête de l’ouest. En effet, les géologues experts ont un temps prospecté vers le sud-ouest à partir de l’existant, mais en 1852, la découverte d’un gisement à Oignies indique que l’orientation du bassin s’infléchit vers le nord-ouest ce que vient confirmer cinq ans plus tard le sondage réalisé à la fosse de L’Escarpelle. Il y a du charbon près de Douai, le bassin du Nord Pas de Calais s’ouvre à l’exploitation.


En dessous ou au dessus, le travail à la mine se décline en une multitude de métiers dont les noms laissent transparaitre la spécialisation des taches. Les seigneurs du monde souterrain sont les abatteurs. Ils œuvrent dans des positions bien souvent pénibles, armés de leur rivelaine, de leurs pics et de leurs marteaux pour détacher le charbon des parois. Autour d’eux gravitent les hercheurs qui acheminent la houille vers la sortie. Les enfants sont présents en sous-sol, la législation recule progressivement l’âge de leur descente sous terre (à la fin du siècle il ne peut être inférieur à 13 ans). Les femmes peuvent aussi être hercheuses au fond jusqu’en 1874, ensuite elles ne pourront plus que travailler au jour ; on les retrouve notamment au triage (cafus) ou aux postes de lampistes. Raccommodeurs et boiseurs entretiennent les galeries. Palefreniers et vétérinaires assurent le santé de la force motrice animale : les chevaux comme les hommes descendent dans les entrailles du bassin minier.


Les lampes des mineurs (photo@vservat -Lewarde)
Le palefrenier et son cheval (photo@vservat - Lewarde)
Les yeux bleus du père imaginaire de Bachelet dans la chanson[7] scintillent comme des pierres précieuses sur un visage noirci d’une journée de travail à la mine. Le mineur au contact du charbon, devient  « gueule noire », on comprend bien en quoi cela peut marquer l’imaginaire d’un gamin. Même savonné et rincé dans la salle des pendus, cette antichambre de l’enfer - ou du paradis selon le moment de la journée - dans laquelle le mineur suspend au plafond sa tenue civile et la récupère en fin de service, il doit bien rester quelque poussière noire incrustée dans les plis du visage. Paradoxalement, cette figure de la « gueule noire » uniformise le personnel des compagnies.
La salle des pendus (photo@vservat - Lewarde)

La mine est dévoreuse d’hommes et il n’est pas question de ralentir son activité : une bonne partie de l’Europe - italiens, belges, tchèques, polonais – puis, après-guerre, algériens et marocains vient s’y faire embaucher. La présence polonaise est particulièrement remarquable, surtout après la Grande Guerre. En effet, France et Pologne ayant signé une convention en ce sens, plus d’un demi million de ressortissants polonais – on les surnomme parfois les « Wesphaliens » car ils étaient auparavant employés dans la Ruhr occupée par la France en 1923 -  arrivent au cours de la décennie pour travailler au sein  des compagnies minières (l’arrondissement de Béthune, en 1929, par exemple, compte quelques 20% de polonais dans sa population). Partout dans le bassin minier surgissent des petites Pologne attestant de la présence de cette nouvelle main d’œuvre. Gardons nous toutefois de dresser un portrait par trop angélique de ce monde grimé au charbon, ce ne serait qu’une fraternité fantasmée : la communauté de destin des « gueules noires » n’a jamais empêcher l’épanouissement  du racisme et de la xénophobie.


Famille polonaise posant dans son jardin (source :Kazimir Zgorecki ©
Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI).

Expulsion de mineurs polonais en 34.
(source@http://www.histoire-immigration.fr)
Les corons et l’habitat minier, un monde pluriel.

C’est cette même faim d’hommes qui pousse les compagnies minières à aller plus loin pour leur personnel que la simple embauche. Entre les nécessités de faire face à la concurrence, les velléités de contrôler les employés, bon nombre d’entre elles se lancent dans la construction de vastes structures d’habitation non loin des chevalements qui signalent la présence de l’activité extractive. Les politiques paternalistes des dirigeants des grandes compagnies familiales charbonnières françaises ont donné naissance, dans le Nord et le Pas de Calais, à un urbanisme pluriel. Celui-ci a été largement influencé par les grandes idéologies du XIXème siècle qui portaient un regard sur l’industrialisation en marche, ses conséquences souvent désastreuses pour une main d’œuvre récemment arrachée au monde rural, que l’on croit prompte à se fourvoyer dans des comportements immoraux et impropres à maintenir une productivité décente. Des réflexions des socialistes utopiques, des hygiénistes, et des grandes figures patronales soucieuses fidéliser  leur main d’œuvre par l’intermédiaire de services annexes (école, services de santé, logement, caisse d’entraide, association sportives) sont nées des structures urbaines originales classées aujourd’hui, pour partie, au patrimoine mondial de l’humanité[8].  Elles sont les traces palpables d’un mode de vie, d’habiter et de travailler propre à l’activité charbonnière.

L’habitat minier connait 4 âges successifs : le temps des corons, chers à Pierre Bachelet - qui pour être le premier chronologiquement a fini par absorber, dans les représentations communes, les autres formes de logements qui lui ont succédé - est suivi de celui des cités pavillonnaires. Pour être exacte, les deux cohabitent dans le dernier tiers du XIXème siècle. Cela s’explique en partie à cause du fait que les dirigeants des compagnies minières ont rapidement souhaité s’éloigner des modèles d’habitats collectivistes prônés par les utopistes y voyant vraisemblablement une source de désordre. A l’aube du XXème siècle, les premières cités jardins sortent de terre. Leur âge d’or est celui de l’entre-deux-guerres. Enfin après la nationalisation des houillères, c’est le temps des cités modernes qui se poursuit jusqu’en 1970.


Cité la Parisienne à Drocourt (source mission bassin minier)
L’habitat minier façonne le paysage autant que l’activité en elle-même. Au « terris », aux chevalements  qui marquent la présence d’une fosse,  répondent les corons, alignement de maisonnettes identiques, au sol carrelé donnant sur la rue, derrière lesquelles se cache un petit jardin individuel (symboliquement le vert des légumes y livre sans doute un combat acharné contre le noir du charbon, mais pour le mineur c’est aussi l’opportunité de se procurer, dans cet espace restreint, des suppléments en nature susceptibles d’améliorer l’ordinaire). Quand la construction devient frénétique du fait de la croissance de l’activité houillère, le coron se mue en « barreau » ;  le terme atteste d’une construction à la chaîne de maisonnettes mitoyennes et monotones. Ce type d’urbanisme prospère et perdure jusqu’en 1890 environ.


Cité 10 de Béthune à Sains-en Gohelle
(
source mission bassin minier)
A partir du dernier tiers du siècle, la cité pavillonnaire constitue une alternative au modèle antérieur dominant jugé peu satisfaisant à l’usage. Hormis la menace que constituent les idéologies nées des réflexions de Charles Fourier, les compagnies ont également le souci d’améliorer quelque peu l’hygiène et l’espace de vie de leurs employés. Ainsi, dans ce nouveau modèle d’habitat, les murs pignons ne sont plus aveugles, la surface habitable gagne souvent 20 m2, le jardin s’agrandit. L’air, la lumière, l’espace, si chers aux hygiénistes agrémentent désormais les logements d’une main d’œuvre que l’on souhaite enraciner. Le revers de la médaille ne doit pourtant pas être négligé : la cité pavillonnaire qui concentre l’effort sur le logement est bien plus économe en ce qui concerne les équipements collectifs. A quelques rares exceptions ils sont bien souvent limités et défaillants.



A l’aube du XXème siècle émerge le modèle de la cité jardin qui tente de repenser le lien entre la ville et la nature. Ebenezer Howard[9] penseur du modèle fait donc des émules dans le  bassin minier. Rues plus sinueuses, qualité du paysage, verdure, moindre densité du bâti président à cette nouvelle façon de penser les logements des mineurs. 
Cité du Pinson à Raismes (source mission bassin minier)
Après-guerre, elle laissera place au système plus fonctionnel de la cité moderne. C’est le temps de la concentration (18 compagnies sont, en effet, regroupées en une seule) et de la nationalisation. Le statut du mineur et de sa famille change, le logement est en quelque sorte indissociable de son emploi. Il lui pourra le conserver à sa retraite. Le système qui lie activité économique et avantages sociaux se maintient donc encore tandis qu’il faut se hâter pour produire plus, d’une part, et loger les nouveaux mineurs embauchés pour gagner la bataille du charbon, d’autre part. Les logements « camus » vont donc se systématiser. Construits de plain-pied mais de médiocre qualité ils allient rapidité de construction, fonctionnalité (au sens de l’époque bien entendu), et faible coût. 

Camus bas à Noeux les Mines (source mission bassin minier)
Camus haut à Condé sur l'Escaut (source mission bassin minier)









Celles et ceux qui parcourent le bassin minier s’amuseront à détecter les 4 âges de son urbanisme et à en découvrir les infinies nuances : celles de la forme des fenêtres, du matériau de construction, de la forme du porche d’entrée, ou encore de la toiture. Une palette qui déjoue la monotonie supposée du paysage et qui fascine l’œil avisé.



Les bruits de la mine.

Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelle lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes,  parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.
Quels visages atroces ! balbutia Mme Hennebeau.
Negrel dit entre ses dents : Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ?
Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. À ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons, d'un pourpre sombre, ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.
Emile Zola, Germinal, 1885.

La mine est un monde sonore. On y entend une multitude de bruits : celui des abatteurs qui meurtrissent les parois, des chevaux qui tirent les berlines ; celui de la toux d’une gueule noire dont les poumons se meurent de la silicose[10], des instruments de la fanfare et des voix de la chorale, des slogans criés par les grévistes, des explosions liées aux coups de grisou. Sociabilités et solidarités s’entremêment et se brisent dans ce monde âpre. La mine, ce n’est pas qu’un décor façonné par 3 siècles d’activité extractive, ni qu’une vertueuse et prospère organisation capitaliste, c’est un monde de cris, de ruptures, de mobilisations, de drames, de souffrances qui a cimenté et transmis une mémoire spécifique. Prise entre histoire, mémoire, récits de filiation et réécritures littéraires, la gueule noire devient une figure complexe et paradoxale, fantasmée pour partie, plurielle : à la fois héros et victime, solidaire et solitaire, accablé ou fier, pleutre ou malade.

Etant donné l’importance du secteur dans l’économie nationale au XIXème siècle,  ce qui affecte la mine a quelques répercussions sur l’ensemble du monde du travail, et plus précisément sur sa législation ; pour poursuivre la métaphore sonore on pourrait presque dire que la mine donne le « la ». Lorsque Zola écrit Germinal, il donne une version romancée de la grande grève des mineurs de février 1884 qui touche la compagnie d’Anzin. Le conflit a pour origine l’éternelle question de la réduction des coûts. Le renvoi de 140 employés contestataires qui pour la majorité d’entre eux sont syndicalistes ne fait que radicaliser les oppositions. A l’issue 56 jours de grève, les mineurs ne gagnent toutefois rien d’autre que le droit de se faire donner la garde sur la fosse. 
source @archives du monde du travail
La succession des conflits provoque néanmoins des avancées : ainsi, en 1884, la loi Waldeck Rousseau octroie la liberté syndicale. En 1891, l’activité  extractive est à nouveau stoppée durant une vingtaine de jour par une grève générale dans le bassin minier du Pas de Calais. A l’issue de celle-ci la convention d’Arras est signée. Cet accord qui donne naissance aux caisses de secours et au régime des retraites, fruit d’une négociation puis d’un accord sous l’autorité du préfet entre 5 représentants des employeurs et 5 représentants des mineurs, est considéré comme l'ancêtre des conventions collectives, officiellement légalisées en 1919.

Du mouvement social à la catastrophe, la frontière est parfois ténue. La plus grande catastrophe minière de l’histoire du Nord se déroule sur la concession de la compagnie de Courrières le 10 mars 1906. Sous terre ce matin là, il y a 1700 ouvriers répartis en 3 fosses sur une surface avoisinant les 5km2. Quelques temps auparavant il y a déjà eu un incendie dans la veine Cécile. Pourtant, tous les mineurs descendent au fond ce jour là, lampe à nu allumée. A 6h45, une inflammation de poussières se conjugue aux explosions, elles projetent tout sur leur passage pour écraser et obstruer les galeries. Ceux qui restent en vie doivent fuir le « mauvais air » qui peut aussi les intoxiquer. Ces gaz méphitiques sont tout aussi susceptibles de leur ôter la vie.
Le chaos règne tout autant au fond qu’au jour. Très vite, à l’air libre l’idée qu’il n’y a pas de survivant préside aux opérations de sauvetage, les querelles qui occupent les différents ingénieurs quand à l’ordonnancement des interventions à mener ne permettent pas de rationnaliser les secours. La situation est d’autant plus dramatique que les familles regroupées derrière les grilles donnant accès au carreau de la fosse ne peuvent y pénétrer que le lundi 12 au matin pour procéder à l’identification des nombreux corps déjà remontés. C’est le lendemain qu’ont lieu les premières obsèques. Sous les yeux d’une presse avide de suivre les développements du drame, les discours creux des représentants de la compagnie des mines de Courrières tombent d’autant plus à plat que des sauveteurs allemands équipés d’appareils respiratoires dernier cri se présentent spontanément pour épauler les sauveteurs et les soignants.


source @wikipedia

Le 14 mars, la grève est déclarée. Alors que les opérations d’exploration des galeries accessibles sont parfois contrariées par des retours d’incendie et ou l’épanchement de gaz toxiques, 13 ressuscités font leur apparition à la fosse 2, le 30 mars, 20 jours après l’explosion. C’est alors que l’hypothèse de départ sur le décès de la totalité des mineurs semble particulièrement inacceptable aux familles. A Lens, les femmes crient Ils ont voulu sauver la mine avant de sauver les hommes. 



En 1907, l’avis de la justice pour déterminer les responsabilités attribue la faute à Fatalité et son sinistre compagnon Pas de Chance, ils sont les invités d’honneur du verdict. Les dirigeants de la compagnie de Courrières seront épargnés. A contrario, les syndicalistes impliqués dans le mouvement de grève seront sanctionnés. Si les circonstances de l’accident restent opaques, la justice de classe qui lui succède donne à la catastrophe de Courrières la couleur d’un terrible drame social, l’aléa à son origine devenant finalement anecdotique au regard de l’impunité dont bénéficient les puissants. La mémoire collective a quelque peu entamé leur superbe depuis …et un poste de secours central est installé à Lens en 1908. Maigres et tardives consolations.
En ce XXème siècle de conflits, la mine continue de s’agiter sous l’effet des haveuses automatiques et des mouvements protestataires. L’entre deux guerres et les premières années du 2ème conflit mondial sont jalonnées de nouveaux conflits  sociaux. La grève des mineurs en 1941 qui se solde par la déportation de 250 d’entre eux allie contestation sociale et acte de résistance face à l’ennemi allemand et aux patrons qui s’unissent pour obtenir de leur main d’œuvre un totale soumission et une exceptionnelle productivité  consentie par la coercition. L’empressement mis par les dirigeants des compagnies à dénoncer les meneurs de la grève à l’occupant allemand n’est sans doute pas étranger à la décision de nationalisation de 1944.

La paix revenue, le charbon est encore au cœur d’une nouvelle bataille, celle qui devra permettre à la France de se reconstruire. Plus cher à exploiter alors que la production se mondialise à moindre coût, les houillères de France entament dans les années 70 leur lent et inexorable  déclin. Le silence s’installe sur le Nord, sauf au stade de Lens où chaque soir de match, le rouge et or des tribunes se porte fièrement pour entonner les corons de Bachelet.



[1] La Piscine est un des musées phares de la region, c’est comme son nom l’indique un ancien établissement  de bains reconverti en espace d’exposition. La permanente n’a rien à envier aux prestigieuses temporaires à l’instar de celle qui se donne à voir en ce moment consacrée à la sculptrice Camille Claudel.
[2] L’oeuvre de Rodin trône sur le parvis de l’Hotel de ville de Calais
[3] Voir par exemple ce compte rendu de l’exposition sur les désastres de la guerre : http://clgeluardservat.blogspot.fr/2014/07/les-desastres-de-la-guerre-ou-comment.html
[4] A Lewarde se trouve en effet le centre historique minier, musée de la mine en France : http://www.chm-lewarde.com/fr/index.html
[5] Je rends cette expression à son César, J.-C. Diedricht
[6] Selon une de mes amies et collègues, le mot “terrils” est une deformation de la vraie denomination “terri”, la faute en revient à un journaliste qui, ayant demandé l’orthographe du mot à un mineur, s’est vu répondre que cela “s’écrivait comme fusil”.
[7] Il s’avère que le chanteur est natif de Calais et que la chanson n’a rien aucune assise biographique.
[8] Pour plus de details consultez ces pages : http://whc.unesco.org/fr/list/1360/
[9] Militant du mouvement socialiste anglais Ebenezer Howard est marqué par certains penseurs utopiques anglais et américain, dont il s’inspire pour publier en  1898 Tomorrow : A Peaceful Path to Social Reform  (Demain : une voie pacifique vers la Réforme sociale). L’ouvrage est réédité en 1902 sous le titre : Garden-Cities of Tomorrow (Cités-Jardin de Demain). Il construit en Angleterre sa 1ère cité jardin un an plus tard. La cité Bruno
de la compagnie de Dourges construite un an plus tard s’en inspire totalement.
[10] Maladie des voies respiratoires qui affecte spécifiquement les mineurs.


NB :  Un salut sincère et chaleureux à ceux qui vibreront aux mots et aux sons de cet hymne régional du Nord, et lus spécialement à mes ami.e.s Joelle, Karine, Sarah, Gabriel, Matthieu, Pierre-Antoine qui me font explorer le Nord avec tant de plaisir communicatif. Kudos. 


Compléments bibliographiques - sitographiques :

- JL Pinol, Le monde des villes au XIX siècle, Hachette
- JP Rioux, La révolution industrielle, Seuil
- CHM Lewarde, Petit histoire des mines du Nord-Pas-de-Calais - les carnets du galibot. 
- CHM Lewarde, 10 mars 1906 Compagnie de Courrières, Mémoires de Gaillette n°9, 2006
- Courrières, la terrible catastrophe, Lz Voix du Nord, collection les patrimoines

site du CHM de Lewarde www.chm-lewarde.com/
archives du monde du travailexposition virtuelle sur la mine
mémoires des mines fresques.ina.fr/memoires-de-mines/
histoire du bassin minier www.bmu.fr/paysage_culturel_evolutif.html
mission bassin minierwww.atlas-patrimoines-bassin-minier.org
charbonnages de Francewww.charbonnagesdefrance.fr/gRubrique.php?id_rubrique=126

1 commentaire:

Florian a dit…

Article très intéressant et effectivement vibrant !
(J'en profite pour signaler un lien mort qui pourrait être remplacé par celui-ci : https://www.youtube.com/watch?v=Fmn_c1B7MiA.)