vendredi 30 novembre 2012

Fensch Vallée, Bernard Lavilliers

Gandrange, Florange, la Lorraine industrielle n'en finit pas de mourir. Mais elle se défend, contre l'Indien (comme on le surnomme ici) mais aussi contre ce que certains appellent l'inéluctable. 
Il y a débat, de toute façon : nationalisation partielle, totale, laisser faire. Pourtant la lutte ne date pas d'aujourd'hui, les grèves et les combats, des mineurs, des métallos remontent au milieu des années 70 quand on a commencé à vouloir fermer les premières usines. A plus de 40 ans, j'ai toujours entendu parler de la crise et de "la fermeture". Pourtant, il y en a encore des usines....On fabrique encore de l'acier....les métallos d'Arcelor Mital, d'Ascométal sont encore quelques milliers. La France se désindustrialise ainsi à feu doux malgré leurs combats. 

Aimelaime [CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]
Bernard Lavilliers est Stéphanois, il connaît la dureté des paysages industriels mais aussi la solidarité des gens. La Lorraine l'inspire tout autant que sa région natale, dans son album Barbares de 1976, il consacre une chanson à la vallée industrielle du Nord de la Moselle, la vallée de la Fensch (Algrange, Florange, Fameck, Sérémange, Knutange,Hayange, Uckange etc.) . Dans cette vallée dite des "anges" (Le nom des patelins s'terminent par ange), on y trouvait tout ce qui était nécessaire à l'industrie sidérurgique : des mines de fer (minette Lorraine) comme à Neufchef, de l'eau, du charbon lorrain du bassin houiller (Forbach) et des gens (des immigrés Polonais, Italiens, Portugais, Maghrébins).
Dans sa chanson, aux rythmes sud-américains très exotiques, il évoque autant les mines que les haut-fourneaux et les laminoirs. Il évoque bien sûr la grande famille qui a fait sa fortune dans la région, les De Wendel : ils ont tout vendu dans les années 70 pour se convertir dans l'informatique puis la finance. Une ville du coin, porte même le nom de cette famille (Stiring Wendel) et témoigne de la longue présence de cette dynastie industrielle dans le métier depuis 1704. Ironie du sort, l'entreprise de Wendel est revenue dans la région pour être l'un des mécènes du Centre Pompidou de Metz (histoire de redorer son blason dans la région !).

Enfin, Lavilliers compare cette région à un Eldorado qui ne l'est plus vraiment, il décrit  la beauté des hauts fourneaux : "C'est plein d'étincelles surtout dans la nuit"...Dans cette chanson, sur les thèmes de la dureté du métier, de la région, de la révolte des travailleurs, il arrive à trouver l'usine belle " C'est vraiment magnifique une usine". Il n'a pas tort....le Département a conservé dans un mouvement de patrimonialisation : un haut-fourneau à Uckange, il s'appelle l'U4 transformé en une oeuvre d'art faite de lumière par Claude Lévêque. Au moment de la fermeture de cette usine, Lavilliers avait tenu à se rendre par solidarité auprès des ouvriers, c'était en décembre 1991. Depuis, il repasse régulièrement dans la salle de concert de Florange, à la Passerelle. Lavilliers est devenu avec le temps, ce chanteur qui accompagne ces luttes, ce désespoir aussi... Il chante ainsi la colère des métallos sur des rythmes latinos....pourquoi pas !

Viens petite sœur au blanc manteau
Viens c'est la ballade des copeaux
Viens petite girl in red blue jean
Viens c'est la descente au fond de la mine
Viens donc grande shootée du désespoir
Viens donc visiter mes laminoirs
Viens donc chevaucher les grands rouleaux
Et t'coincer la tête dans un étau
Viens petite femme de St-Tropez
Nous on fume la came par les cheminées
Et si le bonheur n'est pas en retard
Il arrive avec son gros cigare

Viens dans ce pays
Viens voir où j'ai grandi
Tu comprendras pourquoi la violence et la mort
Sont tatoués sur mes bras comme tout ce décor
Pour tout leur pardonner et me tenir tranquille
Il faudrait renier les couteaux de la ville

Viens petite bourgeoise demoiselle
Visiter la plage aux de Wendel
Ici pour trouver l'Eldorado
Il faut une shooteuse ou un marteau
La vallée d'la Fensch ma chérie
C'est l'Colorado en plus petit
Y a moins de chevaux et de condors
Mais ça fait quand même autant de morts
Ma belle femelle de métal
Je t'invite dans mon carnaval
Ici la cadence c'est vraiment trop
Ici y a pas d'place pour les manchots

Viens dans mon pays
Viens voir où j'ai grandi
Tu comprendras pourquoi la violence et la mort
Sont tatoués sur mes bras comme tout ce décor
Pour tout leur pardonner et me tenir tranquille
Il faudrait renier les couteaux de la ville

Tu ne connais pas, mais t'imagines
C'est vraiment magnifique une usine
C'est plein de couleurs et plein de cris
C'est plein d'étincelles surtout la nuit
C'est vraiment dommage que les artistes
Qui font le spectacle soient si tristes
Autrefois y avait des rigolos
Ils ont tous fini dans un lingot
Le ciel a souvent des teintes étranges
Le nom des patelins s'termine par ..ange
C'est un vieux pays pas très connu
Y a pas de touristes dans les rues

Viens dans mon pays
Viens voir où j'ai grandi
Tu comprendras pourquoi la violence et la mort
Sont tatoués sur ma peau comme tout ce décor
Pour tout leur pardonner et me tenir tranquille
Il faudrait renier les couteaux de la ville

Viens petite sœur au blanc manteau
Viens c'est la ballade des copeaux
Viens petite girl in red blue jean
Viens c'est la descente au fond d'la mine
Viens c'est la descente au fond d'la mine



Jean-christophe Diedrich

4 commentaires:

blottière a dit…

Merci Jean-Christophe pour ce billet on ne peut plus d'actualités. Toujours un vrai plaisir de te lire.
Nanard est retourné il y a peu dans la Fensch Vallée:
http://www.mylorraine.fr/article/fensch-vallee-bernard-lavilliers-20-ans-apres-/10181/

Quant à nos camarades du lycée d'Indy, ils se sont aussi intéressés à la chanson:
http://www.ac-grenoble.fr/lycee/vincent.indy/spip.php?article1593

Julien

J-Christophe Diedrich a dit…

Oui, je n'avais pas repéré le travail des collègues de Grenoble... cela complète bien, en effet !
Merci pour le lien !!
JC

zelda a dit…

Bonjour,

Quel est exactement le rythme de cette chanson ? J'hésite (béotienne que je suis) entre samba et bossa-nova...

(ma fille compte proposer cette chanson à l'épreuve d'histoire des arts du brevet..)

Merci !

Anonyme a dit…

La famille de Wendel, bienfaitrice de l'humanité, comme l'atteste les vitraux de l'église d'Hayange(http://eglise-de-hayange-57700.blogspot.com/p/blog-page_6027.html).
Une dynastie digne de l'Ancien Régime qui a su placer les siens dans les hautes sphères de l'Etat , en faisant de juteuses alliances (François Missoffe, Françoise de Panafieu, Ernest-Antoine Sellière, jean-François Poncet...). Une famille très patriote qui a su retarder les bombardements français sur ses usines situées en Allemagne jusqu'en 1916 (cf Les sidérurgistes de l'Est et la politique de bombardement d'usines en 1914-1918dans la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine Année 1984 31-1 pp. 54-73) et qui a su collaborer avec les Allemands, avant et pendant la guerre, sans jamais être bombardée par nos sauveurs anglo-américains (cf Annie Lacroix-Riz).