mercredi 14 septembre 2011

245. L'Angleterre en crise (2) : retour sur les émeutes d'août 2011.




Comme Aug l'avait annoncé dans son précédent post sur le NHS nous ouvrons sur nos blogs un dossier consacré à "L'Angleterre en crise". S'ajoute aujourd'hui une rétrospective des émeutes qui éclatèrent entre les 6 et 11 août 2011 Outre-Manche. Bien sûr, nous vous proposons de la parcourir en musique. Aug et moi avons sélectionné quelques titres qui nous semblent faire écho aux évènements. Nous vous les présentons comme un fil rouge, avec un clip et quelques extraits des paroles pour éclairer notre choix. Vous pouvez retrouver notre sélection, en playlist, à la fin de ce post.

Bonne lecture, Bonne écoute !

Les diversions opérées par les lourds dilemmes du mariage princier (une robe classique? moderne? non une robe signée A. Mac Queen !) n'avaient pas plus de quelques mois que déjà les émeutes londoniennes éclataient. A la faveur de cette explosion de violences urbaines, la capitale anglaise, encensée pour son dynamisme économique, son multiculturalisme, la puissance de son quartier d'affaire et qui accueillera les JO de 2012, a révélé son côté obscur. D'autres grandes villes du pays (Bristol, Birmingahm, Liverpool, Manchester) ont connu, dans la foulée des épisodes violents. Ce moment traumatique, relativement court mais très intense, est venu s'ajouter au scandale des écoutes téléphoniques dans lequel le conseiller en communication de David Cameron est très impliqué alors que s'abattait sur le pays une politique de coupes budgétaires extrêmement sévère.


En un temps record, on passe sans transition de la "Big Society"[1] à la "Broken Society"[2] et certains entendent durant ces quelques jours où la quiétude nationale est mise à mal, sonner le tocsin pour l'équipe de David Cameron. C'est sans compter sur les capacités des conservateurs à utiliser les évènements pour déployer un arsenal répressif impitoyable qui leur permet de se remettre en selle immédiatement et de renvoyer de la lumière à l'ombre la plus noire cette partie de la société britannique, placée temporairement sous les feux des caméras, qu'il faut dissimuler comme une maladie honteuse ou couper comme un membre gangrené.


* Le D-DAY : la mort de Mark Duggan enflamme Tottenham.

Le 4 août 2011 à 18h15, Mark Duggan, résident de Tottenham au Nord-Est de Londres, âgé de 29 ans, et père de 4 enfants, trouve la mort à l'arrière d'un taxi qui le ramenait à son domicile. Il fait l'objet d'une surveillance de la part de la section Trident, division spécialisé dans les crimes avec armes de la police métropolitaine de Londres. Décrit comme un homme responsable et attaché à ses enfants par ses proches, l'individu est aussi soupçonné de fréquenter les gangs armés du coin et de participer à des actes criminels (trafic de drogues, tabassages violents) qui rythment les face à face entre les bandes de ces quartiers. (Gang N17 Farm, Broadwater Farm Posse and Tottenham Mandem).


C'est dans le cadre de cette filature que Duggan décède d'une balle tirée en pleine poitrine. On retrouve une arme en sa possession qui présente deux particularités : elle est dissimulée dans une chaussette et ses balles ont été trafiquées de façon à en accentuer les effets. Les premiers éléments livrés par la police et relayés par la presse (qui devront rétropédaler quelques jours plus tard sans trop de problème de conscience toutefois[3]) font état de plusieurs coups de feu et laissent entendre que Duggan aurait ouvert les hostilités en premier. Pour étayer cette hypothèse la police et la presse évoquent la présence d'une balle encastrée dans une des radios de la police.

Le 6 août, un cortège se forme pour relier Broadwater Farm au commissariat de Tottenham, emmené par la famille de la victime qui réclame des éclaircissements sur la mort de leur proche jugée suspecte. Duggan se savait filé et l'a téléphoné à sa compagne depuis le taxi qui le ramenait chez lui En marge du rassemblement plusieurs véhicules de police sont incendiés. Dans le cadre d'une procédure assez habituelle, l'examen des circonstances de la mort de Duggan a entre temps été confié à l'IPCC (équivalent de l'IGS), institution peu crédible aux yeux de la famille.


Les émeutes débutent donc le 6 au soir et se poursuivent à Londres jusqu'au 10 août. La capitale n'a pas connu cela depuis 85 (Brixton/Broadwater Farm).
En l'espace de quelques jours "riots", "hoodies" et "looting" deviennent les 3 mots les plus utilisés de la langue de Shakespeare. "Riots" il y a, et dans différents quartiers de Londres d'ailleurs durant ces 4 jours. Du Nord (Enfield, Tottenham, Hackney, Camden) au Sud (Brixton, Lewisham), à l'est (Bethnal Green) et à l'ouest (Ealing). Malgré quelques tentatives pour les déplacer vers le centre ville londonien autour du temple de la consommation d'Oxford Street, les barricades de poubelles et les affrontements avec la police restent confinés à la banlieue. Ces nuits d'affrontements s'accompagnent de pillages en règle ("looting"), les émeutiers étant parfois décris comme des nuées de fourmis investissant qui une rue qui un centre commercial pour faire main basse sur des vêtements de sport, et surtout sur du matériel électronique (écrans plats, téléphones portables etc). Le pillage est organisé par le biais des messages Blackberry des jeunes "hoodies" qui leur assure une mobilité et une efficacité redoutables. L'uniforme du pillard est un sweat-shirt à capuche (hoodie) et un foulard dissimulant le visage.

Géographie des émeutes (source : The economist 13-19 août 2011)


La population londonienne qui a parfois bonne mémoire, abasourdie dans les premiers jours de confrontation, porte immédiatement un regard inquiet vers les villes potentiellement sensibles du pays; On pense en particulier à Liverpool secouée par d'importantes émeutes dans un de ses faubourgs en 1985 (Toxteh). En effet, d'autres cités anglaises ne tardent pas à emboîter le pas à la capitale : Birmingham (au coeur de la grande conurbation des Midlands), Manchester et Salford (sa banlieue ouest), peu éloignées de Liverpool.

Au prix d'un déploiement policier considérable dans la capitale, mais aussi d'autres procédures parfois assez particulières (voir les pratiques utilisées par la presse et la police pour identifier les émeutiers et autres appels à la délation), les choses rentrent dans l'ordre entre le 10 et le 11 août. Hormis Mark Duggan, d'autres personnes ont perdu la vie : 3 jeunes de Birmingham percutés par une voiture alors qu'ils protégeaient la station service de leur quartier, un londonien de 68 ans qui tentait d'éteindre un feu de poubelle à Ealing meurt également des suites d'un coma provoqué par des coups à la tête.

Les dégâts matériels sont considérables, beaucoup de voitures et de bâtiments incendiés (stock Sony), de vitrines brisées, de magasins dévalisés. Mais après quelques jours de gueule de bois, la main va passer dans l'autre camp.

Wu Lyf : "Dirt" (2011)



NB : le clip présente un montage en partie issu des manifestations étudiantes contre la hausse des droits d'inscription en novembre dernier.

"The fire starts, Can you hear the sound?, Of the kids all calling',I won't hold this crown" ("L'incendie commence, peux tu entendre l'appel des jeunes qui disent "je ne porterai pas cette couronne"?")

Pulp : "Joyriders" (1994)



NB : ce titre a créée le buzz au festival de Reading fin août car J. Cocker chanteur de Pulp l'a dédié aux émeutiers.

"We like driving on a Saturday night, Past the Leisure Centre, left at the lights. We don't look for trouble but if it comes we don't run. Looking out for trouble is what we call fun." ("On aime conduire le samedi soir, après le centre de loisirs, à gauche du feu, on ne cherche pas les ennuis, mais quand ils arrivent on ne s'enfuit pas, rechercher les ennuis c'est ce qui nous amuse".)

Kings of Convenience : "Riot on an empty street" (2004)



"My life (love), it's a riot, I am climbing barricades in empty streets at night[...]it's a dangerous game, it's a very fine line and if one step is wrong, I have no cards to play and that's why, I've got nothing to say tonight" ("Ma vie (amour), c'est une émeute, j'escalade des barricades dans des rues vides la nuit. [...] C'est un jeu dangereux, c'est une ligne très fine, et si tu fais un pas de travers...,je n'ai pas de carte en main et c'est pour cela que je n'ai rein à dire ce soir")

* The Day After : retour de flammes.

- La police et les émeutes.

La police fut la première à devoir monter au front face aux émeutiers. Tâche compliquée à plusieurs titres. Les relations police/jeunes/population de Broadwater Farm/Tottenham sont envenimées par un lourd passif. En 1985, le quartier était déjà en proie aux émeutes suite au décès de Cynthia Jarret d'une crise cardiaque durant une perquisition de la police à son domicile. Jugée suspecte par la communauté du quartier, le décès de cette femme provoque une flambée de violence qui aboutira au lynchage d'un policier, Keith Blakelok par un groupe d'hommes dans l'enceinte de la cité.

Les environs de Broadwater Farm
au moment des émeutes de 85.
[source : the first post févreir 2010]

Et puis, paradoxalement, alors que la police semble avoir de plus en plus de mal à faire régner le calme dans ces quartiers difficiles du Grand Londres, la population, elle, évoque son ras-le bol, son sentiment d'être harcelée par les contrôles policiers. Au compteur, 333 décès depuis 1998 ont été enregistrés lors de gardes à vue par la police, aucune condamnation ne s'en est suivie, ce qui explique la défiance de l'entourage de Mark Duggan à l'égard de l'IPCC précédemment évoquée. Un militant associatif de quartier déclarait même au Guardian qu’il avait déjà fait une vingtaine de marches reliant Broadwater Farm au commissariat depuis 1985 [4]. La question n'est pas prête de se régler puisque le premier ministre, jusqu'à aujourd'hui et malgré des demandes répétées en particulier d'E. Milliband, leader de l'opposition, se refuse à nommer une commission d’enquête indépendante.

Les premiers soirs la police fut véritablement débordée par les émeutiers, et l'objet de vives critiques. Au retour de Cameron au 10 Downing Street, la mobilisation des forces de l'ordre dans la capitale fut sans doute décisive : déploiement de renforts, annulation des vacances assurent une reprise en main du terrain. Le premier ministre leur demande même d'utiliser les canons à eaux (ce que les flics ne font pas estimant la stratégie inadapté) et les balles en caoutchouc, voire de mettre en place un couvre feu. C'est alors que les langues se délient et, que des rangs de la police, s'échappent un certain nombre de critiques sur les coupes budgétaires qui expliqueraient l'incapacité des forces de l'ordre à maîtriser la situation. Bon nombre de députés et d'hommes politiques (dont l'inénarrable B. Johnson, maire de la capitale) se rangent volontiers derrière ces arguments et font bloc avec la police déjà passablement secouée par la démission du directeur de Scotland Yard dans le cadre du scandale des écoutes, le 17 juillet 2011.




- les anglais face aux émeutes.

Les émeutes s'étant accompagnées de pillage et de barricades, d'incendies de voitures et de magasins, la vie des habitants des quartiers où elles eurent lieu en fut inévitablement affectée. Le 8 août, un entrepreneur social nommé Dan Thompson lance le "Riot Clean up" sur le réseau de microblogging tweeter. Les réponses sont fulgurantes et le succès quasi immédiat. Des hordes de voisins fédérés par le Hash-tag [5]"Riot clean up" descendent nettoyer les rues à l'aide de leurs balais. Les milices de nettoyage citoyennes se constituent par quartiers.C'est à cette occasion que le maire de Londres, Boris Johnson, toujours fantasque et franchissant sans peine les frontières de la bouffonnerie, décide de prendre la température de la rue. Il se retrouve pris à parti, pour ne pas dire hué par des groupes de citoyens-balayeurs sur Clapham Junction alors qu'il répond aux journalistes. "Where is your broom? Where is your broom?" scandent les habitants du quartier en direction du maire de la ville qui ne se démonte pas, s'empare de celui de son voisin, traverse l'espace qui le sépare de ses détracteurs et leur adresse un discours lyrique devant les caméras sur le thème "vous êtes les vrais londoniens". En attendant, on ne le voit guère mettre la main à la pâte. Selon un timing calé sur celui de Cameron (annonces de vacances interrompues pour tous les deux le 8 août), lui aussi a réagi à retardement et cette séance de communication est bien vide de sens et de solutions politiques.



Ailleurs, loin du regard, on assiste à des gestes moins spectaculaires mais pour le moins chaleureux et touchants de citoyens qui s'entraident pour dépanner les victimes de dégâts matériels (des appartements ont pris feu les deux premières nuits d'émeutes), mettre la main à la pâte et retaper les vitrines des commerçants ou, comme ici, pour simplement témoigner de leur attachement à leur quartier.

"Why we love Peckham?" les habitants du quartier
répondent par une multitude de post-it
(The Guardian 11-08-2011)

Dans un certain nombre de cas, des milices citoyennes de défense se constituent dans les quartiers de Londres (voir vidéo du Guardian ci dessous) ou de Birmingham, avec les risques que ce type d’initiatives comportent toujours : une substitution aux forces en charge du maintien de l'ordre, mettant les protagonistes hors la loi en cas d'action, et une exposition aux violences parfois fatale. Ainsi c'est en protégeant un dépôt d'essence de leur quartier que 3 jeunes pakistanais de Birmingham rencontrent prématurément la mort, percutés par un voiture. L'appel au calme du père d'une des victimes a sans doute permis d'enrayer l'escalade dans une ville où, de surcroît, les tensions communautaires sont importantes, avec la population caribéenne comme l'avaient prouvé les affrontements ethniques de Lozells en 2005.




La nasse mise en place autour des émeutiers par la police, les citoyens et la presse s'est déployée rapidement est redoutable à ce moment là du déroulé des évènements. Fort des images du CCTV [6] la police publie des captures d'écrans des émeutiers. D'autres images des mêmes émeutiers, mais différentes, sont publiées dans la presse avec des appels à l'identification selon la procédure désormais bien rodée du "Name and Shame" [7]. Des sites, (blogs, pages facebook) mettent en ligne des agrandissements de visages et invitent ceux qui le veulent et le peuvent à identifier les visages. On peut craindre alors d'autres débordements d'autant plus que la vente de bates de base ball flambe sur le site amazon uk, laissant présager des actions incontrôlables de citoyens armés.[8]



- la justice et la presse face aux émeutes.

Résultats de l'enquête
du Guardian (16/08/2011)
dressant le portrait type de
l'émeutier
et des sentences prononcées
après les 1ères comparutions.
La justice va être quasi immédiatement sollicitée pour gérer au plus vite et au plus sévère les émeutiers interpellés. Les procédures de comparution accélérées (fast-track procedures) et massives font prendre à certaines juridictions des allures d'usines automatisées. Rien que pour Londres quelques 2000 arrestations ont été effectuées en quelques jours, et le 11 août déjà 500 personnes ont comparu devant un tribunal. Evidemment, ces procédures accélérées, que D. Cameron appelait de ses voeux se caractérisent par une extrême sévérité, d'ailleurs soutenue, semble-t-il, par l'opinion britannique (un sondage du Guardian daté du 23 août et effectué par ICM Research sur 1004 personnes, montre que 70% d'entre elles sont favorables à des peines plus lourdes que la normale pour les émeutiers). Ainsi, Jordan Blackshaw (20 ans) et Perry Sutcliffe-Keenan ont été condamnés à 4 ans de prison pour avoir inciter aux émeutes via Facebook (le magasin qu'il suggérait pour cible n'ayant pourtant fait l'objet d'aucune attaque) dans leur comté du Cheschire, proche de Manchester. Une enquête menée par le journal The Guardian sur un échantillon de 100 émeutiers interpellés et passés en procédure rapide montre qu'ils ont écopé de peine de prisons plus longues d'environ 25% à ce qu'elles sont habituellement pour des faits similaires[9]. L'engorgement des tribunaux risque d'ailleurs de perdurer car les cas étant jugés à la va-vite, beaucoup d'interpellés vont sans doute faire appel des peines prononcées qu'ils jugent abusives.

Les avocats sont excédés par leur ryhtme de travail, les commissariats explosent avec quelques 2000 jeunes maintenus en garde à vue et la population des prisons britanniques bat de son côté un nouveau record avec plus de 86 000 détenus. La situation devenant absolument intenable pour la plupart des institutions, on assiste 3 semaines après les faits à des règlements de compte verbaux entre les différentes parties prenantes dans la mise en oeuvre de la répression à l'image des joutes verbales par voie de presse interposée opposant les magistrats et le directeur des établissements carcéraux britanniques taxant de populiste l'attitude adoptée par l'institution judiciaire.

La presse, de son côté, a relayé une multitude d'analyses et d'avis sur ce qui s'est passé à Londres début août. Ils n'étaient pas toujours très éclairés, il faut l'avouer. Nous ne nous attarderons donc pas sur les sorties peu clairvoyantes de certains concernant la mauvaise influence des jeux vidéos et du rap sur les émeutiers. Il est peu être plus intéressant d'en relever deux autres qui convergent bien que placées à l'opposé sur l'échiquier politique. Le premier vient de Peter Oborne, le second de Naomi Klein. Ce dernier est l’éditorialiste politique d'un des quotidiens les plus conservateurs du pays "The Telegraph". Il signait le 11 août, un edito cinglant intitulé "The moral decay of our society is as bad at the top as the bottom"[10]. Le 16 août, dans le journal de la gauche américaine "The Nation" Naomi Klein, située aux antipodes d'Oborne sur l'échiquier politique proposait à son tour un point de vue sur les émeutes. Parmi les arguments opposés à ceux qui n’ont vu dans les émeutiers que de jeunes criminels avides de gains rapides, Naomi Klein avance le même que son confrère du Telegraph à savoir que le pillage de nuit (celui des émeutiers) n’est pas franchement plus indécent que le pillage de jour (celui des banquiers et traders, et des puissants en général)[11]. Tous deux conviennent qu’il est fort difficile de donner des leçons de moralité à une population empêtrée dans une pauvreté grandissante alors que d’autres se remplissent les poches en spéculant de façon hasardeuse et nocive pour l’économie mondiale, alors même que le gouvernement britannique, et Cameron, plus que tout autre, se retrouve éclaboussé par le scandale des écoutes téléphoniques.

Ces deux voix singulières mises à part, la presse s’en est tenue à des positions finalement assez unanimes : du factuel, énormément de sensationnel illustré par des parcours individuels (l’identification de la femme sautant de l’immeuble en flamme, à celle qui est descendue s’opposer aux émeutiers toute seule dans la rue), beaucoup de jugements moraux (sur la crise de l’autorité parentale, l’école, le caractère foncièrement criminel des émeutiers etc)…Quelques tentatives d’analyses furent publiées (en particulier dans The Guardian par des sociologues, par exemple) mais furent très vite court-circuitées par le discours ultra sécuritaire et répressif qui a envahi les médias dès la fin des échauffourées. La presse, globalement, fut indigente en matière de réflexion de fond.

Hoodies en action et l'héroine qui saute de son immeuble
en flammes à Croydon identifié comme Monika Konczyk.



- Les politiques et les émeutes.
David Cameron semble s'être spécialisé dans le retour de l'étranger en catastrophe (déjà, à la mi-juillet, il écourte sa présence en République Sud Africaine pour rentrer à Londres au moment de la démission du directeur de Scotland Yard). Son discours est sans équivoque. Il prône la "tolérance zéro", appelle les forces de l'ordre à utiliser les canons et les matraques. Son discours de fermeté ressassant l'annonce d'une répression sans faille et immédiate (knee-jerk) est mis en œuvre par Theresa May, sa ministre de l'intérieur.
Il n'y a pas que les comparutions immédiates qui structurent le dispositif punitif : en effet, celui-ci s'accompagne de la possibilité d'évincer les familles des émeutiers de leurs logements sociaux et de les priver de leurs allocations. David Cameron convoque le Parlement en session extraordinaire pour le jeudi 11 août. IL y tient le discours attendu des Tories : les émeutiers sont des pillards, criminels et casseurs, prompts à semer le désordre, et à terroriser les honnêtes gens. Il ne sont animés d'aucune conviction politique, doivent assumer leurs comportements donc payer pour leurs crimes. Ils doivent également être exclus des aides que leur verse l'état puisqu'ils détruisent le bien public. Cameron attribue ces déchaînements de violence des jeunes anglais à l'effondrement moral de la société britannique, à la crise de l'autorité parentale, au manque de discipline à l'école etc... Il finit par admettre que parmi les familles de ces jeunes, il y a bien des gens très démunis, qui incarnent une sorte de "broken society". Pour les sortir de l'impasse où ils se sont enfermés, il faut les mettre au travail. Pour cela il annonce qu'il fera appel à l'association caritative privée A4E (Action for Employement) de la très fortunée Emma Harrison, jugée plus efficace que l'action de l'état, trop bureaucratique, qui a déjà mené des actions d'aide aux familles en difficulté dans des zones pilotes. Son action pourrait être complétée par un service civil citoyen pour les jeunes (16 août).

Rappelons qu'en mai 2010, le parti de David Cameron n'obtient pas la majorité au Parlement. Les élections générales ne donnent naissance qu'à un hung Parliament (littéralement parlement pendu,dans lequel les Tories ont 306 des 646 sièges). Depuis mai 2011, Cameron est donc le premier ministre d'un gouvernement de coalition formé avec les libéraux démocrates de Nick Clegg qui en est le vice-premier ministre. Les deux composantes de la coalition partagent globalement le diagnostic sur les émeutes. Les libéraux démocrates, toutefois, appellent de leur voeux des mesures alternatives à l'emprisonnement sous forme de travaux d’intérêt général dans les quartiers où les émeutiers ont sévi car disent-ils : "People convicted of crimes last week should have to look their victims in the eye".[12]

Du côté des travaillistes du Labour, le positionnement est périlleux. Il faut à la fois tenir une ligne de conduite ferme face aux émeutiers pour ne pas se couper de l'opinion bien travaillée par la presse, tout en n'occultant pas le lien entre le pillage et la pauvreté qui permet d'imputer la responsabilité profonde des émeutes aux coupes budgétaires qui accompagnent le projet de Big Society des conservateurs. Bien sûr, Anthony Blair, ne manque pas d'ajouter sa voie au concert des discours politiques qui jaillissent dans les jours qui suivent le retour au calme. Il livre une analyse très personnelle visant essentiellement à défendre son bilan, tacler Gordon Brown pour n'avoir pas poursuivi sa politique et disqualifier Cameron.[13]

The Clash :"Police on my back" (1980)


"Well I'm running, police on my back, I've been hiding, police on my back, There was a shooting, police on my back, And the victim well he wont come back" ("Bon, je cours j'ai la police à mes trousses, je me suis caché, j'ai la police sur le dos, il y a eu un coup de feu, et la victime, et bien il ne reviendra pas")

The Clash "I fought the law" (1979)



" Robbin' people with a six-gun, I fought the law and the law won [x2], I lost my girl and I lost my fun, I fought the law and the law won [x2]" ("Voler les gens avec un six coup, j'ai affronté la loi et elle a gagné, j'ai perdu ma femme et mes amusements, j'ai affronté la loi et la loi a gagné.")

Arctic Monkeys "Riot Van " (2006)


"So up rolls a riot van, And sparks excitement in the boys, But the policemen look annoyed, Perhaps these are ones they should avoid, Got a chase last night, From men with truncheons dressed in hats, We didn't do that much wrong, Still ran away though for the laugh, Just for the laugh" ("et voilà que déboule le fourgon de la police, l'excitation gagne les garçons, mais les policiers ont l'air ennuyé, peut-être que ce sont ceux qu'ils devraient éviter. Il y a eu une poursuite la nuit dernière, menée par des hommes armés de matraques, on n'avait pas fait grand chose de mal, mais on a courru juste pour se marrer, juste pour se marrer")

* 28 jours plus tard ou presque : quelles perspectives ?


La première chose qui frappe en dépouillant la presse depuis un mois c’est une absence. Dans ce flot médiatique de paroles recueillies autour des émeutes, (celle des politiques, des pop stars, des commerçants, des voisins, des policiers, de quelques travailleurs sociaux-éducatifs), il y a des voix que l’on n’entend jamais ou presque : celles des principaux acteurs des évènements et de leurs familles. C’est malheureusement une constante dans ce genre de cas, parce que c’est une constante en général : les gens de peu ont rarement la parole, on parle pour eux, à la rigueur, on leur prête des intentions, des vices, des incapacités (ce sont des assistés et l’on sait que l’assistanat chez les libéraux peut être assimilé à un "cancer" social[14]), on compatit éventuellement à leur sort, mais compassion n’étant pas forcément compréhension, on les laisse vite retourner à leur marginalité effrayante.

Comment d’ailleurs nommer cette population des pays riches qui se retrouve toujours plus pauvre à mesure qu’une minorité devient de plus en plus scandaleusement opulente ? Parmi eux il y a des jeunes, des adultes, des femmes seules, ils viennent parfois d’ailleurs, certains sont au chômage, d’autres sont des travailleurs pauvres, ou intérimaires. Certains ont un casier, beaucoup n’en ont pas etc.

Le profil type de l’émeutier a bien été dressé à partir notamment des arrestations effectuées [15] : c’est un garçon dans 9 cas sur 10, jeune, et au chômageyoung, poor, unemployed »). 40% d’entre eux vivent dans les quartiers les plus défavorisés du pays. En quoi est-ce surprenant ? Absolument en rien, car cela fait maintenant de nombreuses années que ce constat est établi, tant et si bien qu'il est devenu une sorte de litanie, qui ne dépasse pourtant que très rarement le stade de l'incantation, pouvant permettre de dépasser le constat pour élaborer des questions et des solutions. Que s’est il passé dans la tête de ces jeunes garçons au moment de la mort de Duggan ? Quel fut leur cheminement pour passer à l’acte, ont ils été animés par une simple pulsion prédatrice, une volonté de revanche et sur qui ou sur quoi ? Quelle part dans leur implication porte le collectif ? L’individuel ? Comment mettent-ils, eux, en balance, l'impunité de la police, l'immoralité de la finance mondiale, les compromissions de la classe politique dans les scandales politico-médiatiques et leur quotidien? Peu de personnes leur ont demandé, et la place tenue par les quelques articles qui y ont consenti est très marginale.

Beaucoup de ceux dont les paroles envahissent l'espace public disent qu’aucun discours politique ne les anime, d’autres avancent qu’en soit leur uniforme et leurs codes en sont un.[16] Le sweat à capuche et le bas de pantalon de sport seraient l’antithèse vestimentaire du costume des traders. Pourquoi le pillage et pas la simple casse ou la barricade de rue permettant une affrontement interminable avec la police ? Pourquoi des écrans plats et la boutique T-Mobile ? Quels sont les entrelacements des problématiques de la fracture sociale avec la fracture économique ? Qu'est-ce qui se joue pour ces jeunes dans cette mise à l'écart de sociétés régies par un consumériste tel qu'il est devenu une valeur à part entière?[17] Quelles sont leurs relations avec leurs parents ? Pourquoi présupposer d’ailleurs qu’elles sont forcément marquées du sceau du conflit ou de l’insuffisance, est-ce à dire que chez les parents de la classe moyenne tous les enfants sont parfaitement éduqués et qu’aucun ne s’éloigne du droit chemin ? A quel moment pourra-t-on pour ce qui concerne cette population et leur entourage familial, relationnel, géographique sortir des préjugés et aller leur demander leur version des faits, leur vision des évènements, leur regard sur la société ? Doit-on comprendre, à l’issue de ce énième épisode violent, que de toute façon, leur parole ne vaut rien, (voire « qu’ils parlent mal » ou « ne savent pas parler » comme on l’entend parfois) ou qu’à partir du moment où la faute est commise ils doivent accepter une sentence supplémentaire, celle de leur retour dans l’oubli. R. Huret a écrit de très belles pages sur les habitants les plus pauvres de la Nouvelle Orléans qui après Katrina, alors qu’ils vivaient dans cette ville depuis des années, ont non seulement été criminalisés après avoir tout perdu, mais également réduits au statut de réfugiés dans leur propre ville, comme s’ils venaient d’ailleurs et sans pouvoir dire l’injustice ressentie.[18]

Il y a fort à parier que cette parole ne sera recueillie que par d’obscurs sociologues, dont les travaux bien que nécessaires, professionnels et instructifs, resteront relativement confidentiels pour une opinion abreuvée des frasques des people et des hommes politiques. D’autant plus que d’ici là, le rouleau compresseur sécuritaire des conservateurs se sera abattu sur cette partie de la population britannique qui est déjà la plus mal en point. Dans les mois qui ont précédé les émeutes, une multitude d’articles de presse rendaient compte des dégâts occasionnés par les coupes budgétaires : les municipalités licenciant leurs employés faute de budget, les bibliothèques qui ferment, les associations qui se retrouvent paralysées et étranglées par l’arrêt des subventions étatiques (à l’image de ce que l’on a vu en France pour le Samu Social), les centres de santé et de gériatrie ou ceux d’accueil des handicapés, et des femmes seules alertant des difficultés à venir pour remplir leurs missions. Ce sont les plus fragiles qui sont frappés et ce qui maintient le lien social qui est affecté.
Dans les jours qui ont suivi, que lit-on ? Que la mère de cet émeutier est expulsée de son logement, que les parents de celui-ci perdront leurs allocations, que les peines prononcées contre les pillards sont sans comparaison avec la justice commune, que le secrétaire d’état à l’éducation veut des maitres et non des maîtresses dans les écoles [19] et aussi des forces de l’ordre parce que l’autorité s’incarne exclusivement dans le genre masculin.
Presque un mois plus tard, ce que l’on observe est ce que l’on observait déjà lors des émeutes précédentes en Angleterre, mais aussi en France, une réponse quasi uniquement répressive à la désespérance et à l’appauvrissement d’une partie de la société qui se retrouve à nouveau assommée et bâillonnée. Un discours factice de prise en compte de la déshérence sociale qui relève de l'effet d'annonce mais qui s'avère incompatible avec une politique de rigueur et d'austérité sur laquelle D. Cameron n'a pas bougé d'un demi-centimètre. Le retour à l'ordre n'est possible que par une énorme et explosive hypothèque sur le maintien, l'entretien ou la consolidation du lien social et de la cohésion nationale dont les lignes de fractures se démultiplient (géographiques, économiques, sociales, culturelles selon l'âge, le sexe). Nul doute que l'explosion suivante franchira un degré de violence et de rage supplémentaire.

The Kinks "Dead end" (1966)

What are we living for? Two-roomed apartment on the second floor, No money coming in,The rent collector’s knocking, trying to get in, [...] What are we living for? Two-roomed apartment on the second floor, No" chance to emigrate, I’m deep in debt and now it’s much too late, We both want to work so hard, We can’t get the chance" ("Pour quoi vivons nous ? un deux pièces au 2° étage, pas de rentrées d'argent, les collecteurs de dettes frappant à la porte, tentant d'entrer [...] Pour quoi vivons nous ? un deux pièces au deuxième étage, Je suis très endetté, et maintenant c'est trop tard.On est prêts tous les deux à travailler dur mais nous n'en avons pas l'opportunité")

The Libertines "What became of the likely lads" (2004)



NB : Le clip joue un rôle important dans le choix de ce titre. On y voit deux enfants faire les 400 coups dans un paysage de désolation urbaine. Conçue comme une adresse intime de l'un à l'autre membre du groupe, ce titre traduit, à mon humble avis, avec une certaine tendresse, les désillusions et errances de la jeunesse. Il arrive aussi à dire ce qui peut se jouer en terme de tensions entre le collectif et l'individuel. A ce titre, il illustre notre sujet.
En outre, les "likely lads" fait référence à une série TV britannique des années 70 comptant les tribulations de deux comparses issus des milieux populaires dans la société de l'époque, l'un s'élevant vers la middle class, l'autre non.

"Please don't get me wrong, See I forgive you in a song, Will call the Likely Lads, But if it's left to you, i know exactly what you'd do, With all the dreams we had [...]Oh what became of the Likely Lads? What became of the dreams we had? Oh what became of forever? ('"S'il te plait, ne me trahit pas, regarde je te pardonne en une chanson, on l'appellera les "Likely Lads", mais s'il ne tient qu'à toi, je sais très bien ce que tu pourrais faire, de tous les rêves que nous avions [...] Oh, qu'est il advenu des "Likely Lads" ? Qu'est-il advenu des rêves que nous avions ? Qu'est-il devenu du pour toujours?")



Kaiserchiefs "I predict a riot" (2004)


"Watching the people get lairy, Is not very pretty I tell thee, Walking through town is quite scary, And not very sensible either, A friend of a friend he got beaten, He looked the wrong way at a policeman [...] I tried to get in my taxi, A man in a tracksuit attacked me, He said that he saw it before me, Wants to get things a bit gory" (Regarder les gens tomber dans l'incivilité, ce n'est pas joli-joli je vous le dis, marcher en ville est assez effrayant, et pas très raisonnable non plus, l'ami d'un ami a été battu, il a regardé un flic de travers. [...] Je voulais prendre mon taxi, un type en survêtement m'a agressé, il a dit qu'il l'avait vu avant moi, il voulait envenimer l'affaire").

Et du côté du Hip Hop ?

[Londres, croisement des rues de Stockwell et de Clapham, avril 2011-Aug]

Plongeons-nous dans la très riche et très variée scène Hip Hop anglaise pour tenter de mieux comprendre certaines des questions soulevées par les émeutes du mois d'août.

La description des conditions de vie dans les « estates » (les HLM à l’anglaise) est évidemment un thème récurrent dans le rap. Le Nord-Est et l’Est de Londres, épicentres des émeutes, sont parmi les quartiers dans lesquels ont trouve le plus de MC au mètre carré. Je vous propose de faire connaissance avec 4 d’entre eux, deux femmes et deux hommes, d’évoquer rapidement leur parcours et de découvrir l’un de leurs titres en écho aux évènements de cet été.

  • Wretch 32 : "Don't Go" (2011)

Commençons par Wretch 32, MC de 26 ans qui a grandi à Tiverton Estate (Tottenham), la même cité que Mark Duggan qu’il a connu à l’école. Son pseudo, pouvant signifier « malheureux, pauvre diable » ou « scélérat » le suit depuis son enfance. Son père, DJ de reggae, avait participé aux émeutes de Broadwater Farm à Tottenham en 1985. Il a grandi dans un univers où la délinquance et la criminalité faisaient partie de la normalité. Issu de la scène Grime, il connait le succès en 2011 grâce à quelques singles de son album dont le titre « Don’t Go ». Il y évoque la difficulté d’être père, ses craintes et ses espoirs face à cela. La chanson se veut un message du fils à son père. L’absence de pères stables et jouant un rôle de modèle pour leurs fils à l’adolescence était, rappelons-le, au cœur des débats sur les causes des émeutes et des pillages.




Yeah and when ever I’m in doubt, Et lorsque je doute
You forever calm me down Tu me calmes pour toujours
And sometimes I’m a dummy and I know I would have crashed if you never was around Et parfois je suis bête et je sais que je me serais planté si tu n’avais pas été là
So don’t go, Alors ne pars pas
Don’t leave, Ne t’en va pas
Please stay, S’il te plait reste
With me, Avec moi
You are, the only thing, I need to get by, Tu es la seule chose don’t j’ai besoin pour m’en sortir
To Get by.


  • Speech Debelle : "Bad Boy" (2009)

La paternité est aussi un sujet important pour Speech Debelle, lauréate du Mercury Prize en 2009. De son vrai nom Corynne Eliott, elle est née en 1983 à Londres. Elle grandit sans père avec sa mère jusqu'à l'âge de 19 ans (écoutez la très belle chanson qu'elle écrit à ce père qu'elle n'a jamais connu "Daddy's Little Girl"). Elle quitte alors sa mère et va vivre quelques années dans la précarité. Une expérience qui constitue en grande partie la toile de fond de son premier album Speech Therapy (Le mot signifie également orthophonie en anglais). Speech Debelle est en effet une jeune rappeuse qui croit aux vertus de la parole. L'album est sorti en 2009 sur le label Big Dada et est produit en partie par Wayne Lotek qui produit également les disques de Roots Manuva. Manuva que l'on retrouve en featuring sur "Wheels In Motion". L'ensemble de l'album est une petite merveille qui mêle sonorités jazz et folk.
Mais revenons aux circonstances et aux causes des émeutes et intéressons-nous à la chanson «Bad Boy». Avec cette chanson, Speech Debelle nous met dans la peau d’un « bad boy », d’un de ces « hoodies » dont ont tant parlé les médias, qui traficote, s’imagine en 50 Cent, 2 Pac ou encore en Tony Montana. Sans lui chercher d'excuses, Speech raconte la médiocrité, l'alcoolisme, la drogue, la violence domestique, les problèmes quotidiens qui constituent l'horizon de ce jeune. Voyez cette version live (la version de l'album est un peu différente)


Nobody really understands him nobody knows what's in his heart cause it never shows yo Personne ne le comprend vraiment, personne ne sait ce qu'il a dans le coeur parce qu'il ne le montre jamais
He's got a deadbeat dad, that beats his mum real bad
Il a un père bon à rien qui bat sa mère
His mum sits home all day drinking and smoking fags
Sa mère est assise à la maison toute la journée buvant et fumant des clopes


  • Professor Green (Feat. Chynaman & Cores): "Upper Clapton Dance" (2009)

Professor Green, de son vrai nom Stephen Manderson, est né en 1983 et a grandi dans l’Est de Londres, dans le Northwold Estate d’Upper Clapton (Hackney). Elevé surtout par sa mère et sa grand-mère (son père, peu présent, se suicide en 2008), il deale de la marijuana, d’où son surnom de « Green ». Il écoute beaucoup de Jungle et finit par se faire un nom comme MC dans les battles à partir de ses 18 ans. Mike Skinner (de The Streets) le repère en 2004 et l’emmène sur ses tournées. Skinner le fait signer sur son label The Beats, mais après la disparition de ce label, il signe chez Virgin. En 2009, il reçoit un coup de poignard dans le cou. Philosophe, il recouvre la cicatrice par un tatouage : « Lucky ». Concernant son look, signalons que sa dentition s'est singulièrement améliorée au fil du temps (il suffit de regarder ses premiers clips...). En 2010, son premier album Alive Till I’m Dead se vend très bien, porté par quelques titres comme « I Need You Tonight », reprise d’INXS ou «Just Be Good to Green » avec Lilly Allen. Son deuxième album est annoncé pour le mois d’octobre.
Mais revenons en 2009 et à son titre « Upper Clapton Dance ». Il s’agit d’un single qui ne fait partie d’aucun maxi ou album. Avec ce titre qui sample magnifiquement la danse hongroise de Brahms, Green réussit le pari de dépeindre la vie plutôt sordide de son quartier sans donner dans la mauvaise vantardise, habituelle par exemple dans le Gangsta Rap. Le clip est plutôt bien filmé, de manière haletante, et montre le quartier dans le contexte d'un règlement de comptes.




When I bop through these ends,
Alors que je bouge à travers ce coin

Follow me on a trek through the East End, Suis-moi pour un trek dans l’East End
Where we wear our hoodies in all seasons, Où nous portons des sweats à capuche en toutes saisons
Licking shots, Essuyant des tirs
Dodging police, Evitant la police
Constables, et les agents
Walking with punk under balls, Marchant avec des voyous sous les balles
Jeans to low, Les jeans trop bas
To ever to consider, Pour envisager
Running or Jumping walls, de courir ou sauter par dessus les murs
When I walk around here there's a couple of rules, Lorsque je marche dans le coin il y a une ou deux règles
No bling around here, tuck your jewels, Pas de bling ici, rentre tes bijoux
Unless you wanna get done by the wolves, A moins que tu veuilles être attrapé par les loups
And don't fight back, Et ne te défends jamais
A knife can be so uncomfortable, Un couteau peut être tellement inconfortable



  • Ms Dynamite: "Mr. Prime Minister (2005)

Terminons par la chanteuse et rappeuse Miss Dynamite, qui vient du nord de Londres. Elle a connu le succès en 2002 avec son premier album A Little Deeper, notamment le très entêtant « Dy-na-mi-tee ». Elle est d’ailleurs à cette occasion la première femme noire à recevoir le Mercury Prize (7 ans avant Speech Debelle). Fille d'un immigré jamaïcain et d'une Écossaise, elle aussi a dû se débrouiller sans père et participer à l'éducation des ses petits frères et sœurs. Avant de mettre sa carrière entre parenthèses à partir de 2005, elle a sorti un deuxième album Judgement Days, qui n'a pas eu le succès escompté. Dans cet album, elle s'adresse directement au Premier Ministre de l'époque, le travailliste Tony Blair. Soyons franc, ce n'est pas dans ce registre qu'elle est la plus pertinente mais la chanson exprime le ressentiment des classes populaires qui se sentent abandonnées par le Labour. Pour écouter la chanson, cliquez ici. Depuis 2005, quelques émissions de téléréalité, un accident de voiture et quelques déboires judiciaires, mais un retour annoncé dans les bacs avec un avant-goût : "Neva Soft".


The poor keep dying and the rich keep living
Les pauvres continuent à mourir et les riches à vivre
Mothers keep losing their children to the system
Les mères continuent à perdre leurs enfants pour le système
They stay strong while we remain victims
Ils restent forts [Les hommes politiques] alors que nous demeurons victimes
Telling us to hope for higher things
Nous disant d'espérer des choses plus grandes
Educate yourself aint that how ya'll say it
"S'éduquer soi-même" ce n'est pas comme vous le dîtes tous
But they keep increasing the fee
Mais ils continuent à augmenter les tarifs
Knowing full well that we cant pay it
Sachant très bien que nous ne pouvons pas les payer
[...]

We hungry, homeless, unemployed and broke
Nous les affamés, les sans-abri, les chômeurs et les brisés
We're dying, the health service is a joke
Nous sommes en train de mourir, le système de santé est une plaisanterie
You said things would change when you wanted our votes
Vous aviez dit que les choses changeraient lorsque vous vouliez nos voix

Chorus:
But it stays the same Mais ça reste pareil
Mr. Prime Minister And we continue to die Et nous continuons à mourir
Mr. Prime Minister Not a damn thing changed Pas une satanée chose n'a changée
Mr. Prime Minister Nobody hears our cries Personne n'entend nos pleurs










P.S. (2012) : Le musicien Plan B, que l'on ne peut cantonner au seul Hip Hop, a sorti au printemps 2012 un album de rap et un film construit autour qui racontent la vie de 8 personnages vivant dans l'est de Londres, avec les émeutes en toile de fond. Voici le clip de "Ill Manors", également le titre du film.








* * * * * *



Notes :

1. « TheBig society » est un des projets avancé par Cameron dans leprogramme électoral qui l’a conduit à « remporter », les dernièresélections générales. L’idée maîtresse est de réduire les dépenses de l’état,notamment en matière sociale et culturelle à hauteur de 81 milliards de livres(96 milliards d’euros) qui devront être compensées par des initiativesindividuelles, associatives ou par celles de « petites brigadescitoyennes ».
2. « The Broken Society » ou « sociétébrisée » est un terme devenu très usité depuis début août. Il peut faireréférence, dans le langage public et politique, soit aux émeutes qui ont brisé l’harmoniequotidienne du pays soit à une partie dela société britannique qui cumule les difficultés (sociales, économiques, desanté, etc..), sur laquelle Cameron dit vouloir faire porter ses efforts depuisle 11 août.
3. Les résultats de l'enquête balistique ont prouvé que la fameuse balle de la radio venait d'un tir de police qui a ricoché. Par conséquent, cela annihile la thèse de la légitime défense que les forces de police et la presse ont laissé se diffuser les premiers jours. A aucun moment Duggan n'a utilisé son arme. "Doubts emerge over Duggan shooting as London burns", The Guardian, 08/08/2011
5. Les hash tags sont utilisés sur le site de micro blogging twitter, ce sont des sortes de mots clés qui permettent de classer les sujets postés.
6. CCTV (Close Circuit Television) : système de vidéo-surveillance employé au Royaume Uni.
7. "nommer et faire honte"
10. « Ladécadence morale du pays est aussi forte au sommet qu'à la base »
11. "Daylight Robbery, Meet Nighttime Robbery", N. Klein, The Nation, 16 août 2011.
12. « Lespersonnes qui ont commis des crimes la semaine dernière doivent pouvoir faireface à leurs victimes ».
14. Voir les déclarations de L. Wauquiez "Assistanat" : les mauvais exemples de Laurent Wauquiez"
15. "England rioters: young, poor and unemployed" The Guardian (18/08/2011)
16. "Jamais sans ma capuche" in Courrier International , n°1085, 18-24 août 2011, p 21.
17. Lire G. Mazeau sur son blog Lumières du siècle : "De la guerre des farines aux émeutes anglaises"
18. R. Huret "Katrina 2005 : "L'ouragan, l'état, les pauvres aux Etats-Unis" éditions de l'EHESS 2010 et aussi R. Huret "L'Amérique Pauvre" Thierry Magnier 2010


Bibliographie :

sources papier :
The Guardian 11-12-13-16-17 août 2011
The Independant 11 août 2011
Courrier International n° 1085, 18-24 août 2011
The economist 13-19 août 2011
sources électroniques :
dossier du Guardian "Reading the riots" compile de nombreux articles, interview, cartes, documenst interactifs sur les émeutes
article des Inrocks "Emeutes en Angleterre : un tension palpable depuis des mois" 9/08/2011, par JD Beauvallet qui, en plus d'être un très fin connaisseur de la musique britannique, vit à Brighton depuis plusieurs années. Son point de vue est souvent éclairé.
Voir articles cités dans les notes.

Documents plus généralistes pouvant venir éclairer le débat :
Loic Wacquant "Parias urbains" edition la découverte 2007
Laurent Mucchielli et Véronique LeGoaziou "Quand les banlieues brûlent" la découverte 2007
R. Huret "L'amérique pauvre" Thierry Magnier 2010
P. Bourdieu (dir.) : "La misère du monde", Points Seuil 1998
Loïc Wacquant : "Les prisons de la misère", Raisons d'agir, 1999








1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excellent résumé de ces évenements.
La police a essayé de justifier le meurtre de Duggan endisant qu'il avait tiré sur un policier. Il parait que la balle (dumdum) logée dans le téléphone du policier venait des forces spéciales.
Le pistolet de Duggan serait un pistolet d'alarme traffiqué et sans doute inutilisable.
Cheers,
Christian