mardi 31 mars 2009

151. Bobby Kalphat: "South west of Rhodesia".

L'accession du Zimbabwe à l'indépendance fut particulièrement mouvementée. Pendant toute la période coloniale, ce territoire s'appelait Rhodésie. Il doit son nom au Britannique Cecil Rhodes, agent de l'impérialisme britannique en Afrique. Ce dernier fonde la British South Africa Company. De 1829 à 1923, la Rhodésie dépendait de cette compagnie commerciale. Puis, elle devint une colonie anglaise dotée d'un gouvernement autonome, exclusivement dirigée par des colons blancs.



Un régime d'apartheid se met très vite en place et impose une politique de développement séparé des races. Les Noirs ne peuvent pas adhérer à des partis politiques ou des syndicats. Ils ne disposent pas non plus du droit de grève. Les écoles sont gratuites pour les blancs. L'enseignement s'y fait en anglais, alors qu'il est assuré en Shona pour les Noirs, dont les écoles sont payantes. La loi sur la propriété agricole parque les populations noires sur de petites parcelles peu fertiles, dans des zones arides, tandis que le nombre de têtes de bétail restait limité à 7 vaches.

Dans la vie quotidienne, les discriminations raciales sont légion. En ville, dans les rues, les Noirs doivent marcher sur la chaussée en terre battue, tandis que les trottoirs leur restent interdits. Pour eux, les commandes dans les magasins ne pouvaient se faire qu'à partir de fenêtres spéciales, leur interdisant l'accès des échoppes, sur la devanture desquelles il était fréquent de trouver des pancartes rappelant l'interdiction d'entrer aux Noirs et aux chiens!! Les employés domestiques des familles blanches ne pouvaient pénétrer dans les maisons que par une porte spéciale, située à l'arrière des demeures.

En 1965, le premier ministre Ian Smith déclare l'indépendance de la Rhodésie unilatéralement, rompant avec le Royaume-Uni, qui voulait une participation noire au gouvernement comme préalable à l'indépendance.




La communauté internationale finit tout de même par s'émouvoir face à une situation si scandaleuse. L'ONU et l'Organisation de l'unité africaine condamnent ce régime raciste.
À partir des années 1970, une guerre de libération est menée depuis les Etats voisins par deux mouvements :
- la ZAPU, Zimbabwe African Porpular Union, de Joshua N'Komo soutenue par l'URSS et qui opère depuis la Zambie voisine.
- la ZANU, Zimbabwe African National Union, de Robert Mugabe, aidée quant à elle par la Chine et dont la base arrière se situe au Mozambique.

Les deux mouvements parviennent à faire front commun pour lutter plus efficacement contre le régime de Ian Smith. Ce dernier bénéficie du soutien de l'Afrique du Sud, mais aussi de quelques puissances occidentales qui réussissent à contourner l'embargo de l'ONU en vendant des armes.

Robert Mugabe et Joshua NKomo lors des accords de Lancaster House.
Mais, dans cette guerre, aucune bataille décisive n'intervient et des négociations s'ouvrent au Royaume-Uni en 1979. Le Front de libération se trouve en position de force puisqu'il contrôle de vastes zones du territoire. En décembre 1979, les accords de Lancaster House à Londres sont signés. Les intérêts des Blancs sont sauvegardés, mais des élections multipartites et multiraciales doivent être organisées dans les deux mois suivant la signature de l'accord.

Le parti de Robert Mugabe l'emporte très largement. En avril 1980, la proclamation de l'indépendance de la Rhodésie a lieu. Elle devient alors le Zimbabwe. Les 17 et 18 avril 1980, le stade Rufaro de Salisbury (rebaptisée Harare) accueille les festivités. De nombreux dirigeants internationaux ou dignitaires, tel le prince Charles, sont présents, ainsi que Bob Marley. Le Jamaïcain jouit d'une immense popularité dans le pays, d'autant plus qu'il a composé en 1979 un hymne à la gloire du nouvel Etat, sobrement intitulé Zimbabwe.

Robert Mugabe devient le premier ministre du pays, tandis que NKomo fait, lui aussi parti du gouvernement. Après des décennies d'oppression, une joie irrépressible gagne la population. Cet enthousiasme retombera vite et Mugabe, héros de la libération, se transformera très vite en dictateur cruel. Mais cela est une autre histoire...



La vigueur du panafricanisme chez les rastas jamaïcains explique le grand nombre de morceaux du répertoire reggae faisant référence au continent africain et surtout aux luttes de libérations nationales. Au fond, dans l'esprit de nombreux Jamaïcains, la colonisation, concrétisation de l'impérialisme européen, légitimait une fois de plus la lutte contre Babylone, c'est-à-dire le pouvoir blanc occidental.
Ici, nous retrouvons trois titres consacrés à la Rhodésie. Bobby Kalphat joue une petite musique onirique sur son melodica sur l'instrumental "South West of Rhodesia". Puis, la grosse voix du DJ Big Youth (en Jamaïque, le DJ est celui qui toast au micro) se plaque sur son titre "Train to Rhodesia". Enfin, le regretté Alton Ellis évoque la situation de la Rhodesie avec son morceau Rhodesia.

Sources:
- L'émission l'Afrique enchantée du 1er février 2009 consacrée au Zimbabwe.

Liens:
- Bob Marley interprète "Zimbabwe" lors des cérémonies de l'indépendance.
- Portrait de Ian Smith, ancien premier ministre de la Rhodésie.
- Chronologie du Zimbabwe (1965-2009).

vendredi 27 mars 2009

150. MC5: "Motor city is burning".


Detroit en flamme lors des émeutes de 1967.

Les émeutes du quartier noir du Watts, à Los Angeles, marquent le coup d'envoi d'une série de violences particulièrement meurtrières dans nombre les grandes métropoles nord-américaines au cours des étés, de 1965 à 1968.

A Watts, à la suite d'un contrôle policier qui dérape, le ghetto s'enflamme. Les pillages durent six jours. De nombreux incendies embrasent le quartier, tandis que les forces de police reçoivent briques et cocktails molotov. Le calme ne revint que grâce à l'envoi de 14 000 gardes nationaux. Le bilan fut très lourd: 34 morts, 900 blessés, 4000 arrestations et 30 millions de dégâts matériels.

En 1966, Chicago, Cleveland, San Francisco sont le théâtre d'émeutes raciales similaires qui provoquèrent le décès de 7 personnes et plus de 400 blessés. Pourtant, l'été le plus "chaud" et le plus meurtrier reste sans doute celui de 1967. Très peu de grandes villes furent alors épargnées par ces violences. A Newark, dans le New Jersey, où le pourcentage de chômeurs chez les Noirs atteignait des records, il y eut plus de 20 morts.

* Juillet 1967: Detroit s'embrase.

Mais nous allons ici nous arrêter sur les terribles émeutes de Detroit. Des dizaines de milliers de jeunes noirs envahirent alors les rues de la ville dans une ambiance de terreur et de révolution.
La ville symbole de l’industrie automobile connaît alors un relatif déclin. De 1947 à 1963, elle a perdu 13 4000 emplois industriels. En 1966, 20 000 habitants, surtout des Blancs de la classe moyenne, déménagent. Les quartiers populaires où s’entasse une population noire en surnombre, sont sinistrés, malgré les programmes sociaux du maire Jerome Cavanagh.


Policier face à des émeutiers.

C'est avant tout le comportement de la police locale, connue pour son racisme et sa brutalité qui met le feu aux poudres. Dans la nuit du 22 juillet 1967, les policiers arrêtent un groupe de consommateurs noirs dans une boîte de nuit. Le voisinage s’attroupe et les gens révoltés par l’attitude des policiers s’attaquent aux commerces à proximité.

C'est le début de six jours d’émeutes et de pillages auxquels participent plusieurs dizaines de milliers de jeunes chômeurs noirs. Romney, le gouverneur du Michigan, qui survole la ville en hélicoptère, constate que Detroit ressemble alors à une ville après un bombardement. Le 24, il fait appel à 12 700 militaires, policiers et gardes fédéraux pour mâter l’insurrection. Au bout du compte, 43 personnes sont tuées, 467 blessées, plus de 7 200 arrêtées ; 1 700 commerces sont pillés et 2 000 bâtiments incendiés.



Nicole Bacharan revient sur l'engrenage qui conduit à ces émeutes: "Chacun de ces tragiques événements, aussi anarchiques, aussi imprévisibles et incontrôlables qu'ils paraissent, suivait un schéma presque identique: une période d'extrême chaleur, à laquelle les habitants du ghetto, privés de piscines publiques (...), ne trouvaient aucun soulagement; un incident avec des policiers blancs, dont les habitants ressentaient la présence musclée comme une occupation étrangère; très vite une foule se rassemblait, lançait des cocktails molotov et autres projectiles, et en quelques heures, le ghetto était à feu et à sang."

Après le drame de Detroit, le président Lyndon Johnson chargea le gouverneur de l'Illinois d'étudier les origines de l'explosion. Le rapport de la commision rendu en février 1968 dénonçait la pauvreté, les taudis, le chômage et les écoles ségréguées. "Notre nation évolue vers deux sociétés, une noire et une blanche - séparées et inégales." La commission proposait donc de mettre en place un vaste et coûteux programme d'action fédérale en faveur des Noirs. Cette proposition restera bien sûr lettre morte. L'enlisement au Vietnam et le coût exorbitant de la guerre rendaient impossible (en l'absence de volonté politique ou d'une remise en cause de celle de l'heure ) le financement de programmes sociaux dignes de ce nom.


* Le White Panther Party.

Ces émeutes ne laissent pas indifférents certains jeune blancs: « Ce n’est pas une émeute raciale. Les gens en ont juste marre d’être harcelés par la police et arnaqués par les profiteurs. C’était la journée Robin des bois dans ce bon vieux Detroit, la première journée tout-est-gratis de l’année », affirme John Sinclair. Cet activiste est une des figures majeures de la contre-culture à Detroit. Il fonde par exemple le White Panther Party, en référence au Black Panther Party dont il adapte le programme en dix points.



Il prend aussi en charge le MC5, un garage band au son puissant et crade, usant et abusant des distorsions et feedback. Les concerts du groupe sont souvent fréquemment émaillés d'incidents (ils brûlent le drapeau américain sur scène, se font interrompre par les forces de l'ordre pour injures...). Lors de la convention démocrate qui se tient à Chicago, en 1968, ils jouent dans le Lincoln Park et multiplient les provocations. Désormais, les autorités les suivent de très près les contraignant à déménager à 70 km de Detroit, à Ann Arbor. Le groupe se sépare de Sinclair en 1969. Ce dernier est condamné à 9 ans et demi de prison pour possession de marijuana. Son White Panther Party est victime d'une sévère répression, après la destruction du siège de la CIA, à Ann Arbor. Le groupuscule révolutionnaire est dissous en 1971.



Mais revenons au MC5. Le slogan du groupe « Dope, Rock’n’roll & Fuckin’ in the streets » résume assez bien leur état d'esprit. Yves Delmas et Charles Gancel (cf. sources) reviennent sur l'importance de la formation: "(...) le groupe a marqué l'histoire du rock à plusieurs titres. D'une part, à travers l'expression d'un message "émeutier" qui constituait un vrai changement de son dans la protestation musicale de l'époque. D'autre part, en raison d'un son, d'une attitude et d'un goût pour la mascarade qui font des MC5 (...) les incontestatbles précurseurs du rock new-yorkais des années 1970 (Patti Smith, Ramones...) ou du mouvement punk britannique (Sex Pistols, Damned, Clash...) qui reconnaîtra volontiers l'héritage des durs de Detroit."

En solidarité avec la population noire de Detroit, ils adaptent le morceau de John Lee Hooker « The Motor City is Burning » largement inspiré par les émeutes raciales de 1943.


* Petite parenthèse sur les émeutes de 1943:


[Avec la crise de 1929 - associée à l’accroissement grandissant de la mécanisation dans les champs de coton -, des milliers de familles noires quittent le sud pour tenter leurs chances dans les grandes métropoles industrieuses du Nord, notamment Chicago et Detroit.

Dans cette ville, les chaînes de montage à la chaîne d’Henry Ford emploient ainsi un grand nombre des migrants afro-américain. Bientôt le Blues devient urbain et, la « modernisation » se poursuivant, bientôt la guitare - notamment celle de John Lee Hooker qui a migré à Detroit en 1943 - devient électrique.
La communauté noire de Detroit connaît alors un essor important. Les rapports n’en sont pas moins tendus dans les ateliers et les chaînes de montage, surtout avec le prolétariat blanc issu lui aussi de l’immigration sudiste. Exacerbés par les années de dépression, les antagonismes débouchent, à l’été 1943, sur les premières émeutes meurtrières que connaîtra la ville. Le bluesman John Lee Hooker, lui-même installé à Detroit, parvient à échapper aux dures conditions de travail des usines Ford grâce à ses dons de guitariste. Il devient bientôt un des bluesmen les plus populaires. ]

* "
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi."


Dans leur version du morceau, le MC5 incite ouvertement à la révolte et invite même les auditeurs à participer aux émeutes.



En guise de conclusion, rappelons que le climat pré-révolutionnaire qui s'empare des Etats-Unis en cette fin des années soixante sera savamment instrumentalisé par le candidat républicain à la présidentielle de 1968, Richard Nixon. Ce dernier entend représenter « une autre voix, une voix tranquille dans le tumulte des cris. C’est la voix de la grande majorité des Américains, les Américains oubliés, ceux qui ne crient pas, ceux qui ne manifestent pas. Ils ne sont ni racistes ni malades. Ils ne sont pas coupables des fléaux qui infestent notre pays. »

"Motor city is burning" MC5

Ya know, the Motor City is burning babe,
there ain't a thing in the world that they can do.
Ya know, the Motor City is burning, people,
there ain't a thing that white society can do.
Ma home town burning down to the ground,
worser than Vietnam.

Let me tell you how it started now ...
it started on 12th and Clairmount that morning.
Ah said, it started on 12th and Clairmount that morning,
It made the pigs in the street freak out.
The fire wagons kept comin', baby,
but the Black Panther snipers wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out, wouldn't let them put it out.


Well, there were fire bombs bursting all around, people,
Ya know there were soldiers standing everywhere.
I said there was fire bombs bursting all around me, baby,
Ya know there was National Guard everywhere.
Ah can hear my people screaming.
Sirens fill the air, fill the air, fill the air.

Your mama papa don't know what the trouble is
you see, they don't know what it's all about.
Ah said, your mama papa don't know what the trouble is, baby,
they just can't see what it's all about.
Read the news, read the newspapers, baby?
You just get out there in the street and check it out!

Ah said, the Motor City is burning, people,
I ain't hanging round to fight it out.
Ah said, the Motor City is burning, people,
just not hang around to fight it out.
Well, I'm taking my wife and my people and ???
Well, just before I go, baby, ???? ,
firemans on the street, people all around,
Now, I guess it's true,
I'd just like to strike a match for freedom myself,
I may be a white boy, but I can be bad, too.
Yes, it's true now, yes, it's true now.

____________________
Détroit est en train de cramer, baby,
et rien de peut l'empêcher, les mecs,
Détroit est en train de cramer
et la société blanche ne peut l'éviter.
Ma ville est en train de brûler totalement
et c'est encore pire qu'au Vietnam

Laissez-moi vous dire comment ça a commencé...
cela a débuté au coin de la 12ème et de la rue Clairmont ce matin là.
C'était la panique chez les flics,
les voitures de pompiers continuaient d'arriver
mais les snipers des Black Panthers ne les laissaient pas éteindre les incendies.
Il y avait des bombes incendiaires éclatant un peu partout,
il y avait des soldats partout
il y avait des bombes incendiaires éclatant tout autour de moi,
il y avait la garde nationale partout.
J'entendais la population criait.
Les sirènes hurlait dans l'air (3X)

Ton père et ta mère ne comprennent pas l'origine du problème.
Ils ne saisissent pas ce qui se passe.
Ton père et ta mère n'y comprennent rien, baby,
ils ne peuvent pas voir ce qui se passe
Lis les nouvelles, lis les journaux, baby?
Tu as juste à sortir dans la rue pour les vérifier.

Détroit est en flamme
Je ne vais rien faire pour éteindre l'incendie (2X)
et bien, je pars avec ma femme, la populace et ???
Eh bien, juste avant de partir baby???
les pompiers dans la rue, des gens tout autour,
maintenant, je devine que c'est vrai,
je voudrais juste craquer une allumette pour les libertés
je suis peut-être un petit blanc, mais je peux être mauvais moi aussi.
oui, c'est devenu réalité, c'est devenu réalité.

Sources:
-
Article publié dans CQFD n° 47, juillet 2007.
- Nicole Bacharan: "Les Noirs américains. Des chaps de coton à la Maison Blanche"Panama, 2008, p295-298.

- Yves Delmas et Charles Gancel: "Protest song, Textuel, 2005, Paris, pp248-254.

En bonus, une autre chanson consacrée aux émeutes de Detroit "Black day in July" par Gordon Lightfoot.




Liens:
* Sur Samarra: Detroit, c'est aussi la Motown (contraction de Motor City Sound), nous y revenons dans une série en trois volets:
- La Motown fête ses 50 ans.
- L'usine à tubes: les clefs du succès.
- Connaissez-vous bien la Motown (playlist et quizz)?

* "Détroit = Motor City".
* Le "White Panther Party. MC5 et le politique."
* Le destin musical et social de Detroit (pdf p3).

mardi 24 mars 2009

149. DDT : "Не стреляй!" ("Ne tire pas !") (1980)

Après la guerre entre la Russie et la Géorgie à l'été 2008, les Russes qui souhaitaient échapper à l'atmosphère nationaliste à Moscou ont pu assister à un concert pacifiste intitulé "Nié strieliai !" (Ne tire pas !). A l'origine de ce concert, le rocker russe Iouri Chevtchouk et son groupe DDT qui compte un batteur géorgien.

Le groupe est connu depuis 1980. A cette date, Iouri Chevtchouk écrit la chanson "Nié
strieliai !" qui devient vite un tube. La guerre d'Afghanistan vient de débuter et de nombreux jeunes soviétiques sont envoyés combattre. La chanson rend le groupe célèbre .... donc suspect aux yeux du régime soviétique. DDT n'est pas diffusé à la télévision et se contente de la scène underground tout en connaissant un succès important. Ce succès ne se dément pas avec la Perestroïka et par la suite, faisant de DDT l'un des groupes de rock les plus populaires en Russie. Iouri Chevtchouk a plus récemment refait parler de lui lors d'une rencontre télévisée avec Vladimir Poutine. Ce dernier a fait mine d'ignorer qui était Chevtchouk qui dénonce le manque de démocratie du pouvoir russe. En août 2010, Chevtchouk participe à un concert interdit sur la Place Pouchkine pour dénoncer le projet de destruction d'une forêt au Nord de Moscou pour un projet autoroutier.
[photo ci-contre : Iouri Chevtchouk en 2004]

Nous vous proposons d'écouter la chanson et de lire les paroles avant de vous raconter l'histoire de la guerre soviétique en Afghanistan.

Voici une version de la chanson avec des images de soldats soviétiques :



Voici les paroles et la traduction (établie d'après la version anglaise) :

Не стреляй в воробьев, не стреляй голубей,
Ne tire pas sur les passereaux, ne tire pas sur les pigeons,

Не стреляй просто так из рогатки своей. Ne tire pas avec ta fronde sans raison.
Эй, малыш, не стреляй и не хвастай другим,
Hé gamin, ne tire pas et ne te vante pas auprès des autres,
Что без промаха бьешь по мишеням живым.
Que tu peux tirer sur des cibles vivantes sans les rater

Ты все тиры излазил, народ удивлял,
Tu as nettoyé tout le stand de tir, choqué la foule
Как отличный стрелок призы получал,
Tu as reçu des prix comme tireur d'élite
Бил с улыбкой, не целясь, навскидку и влет,
Tu tirais avec un sourire, au hasard, comme un réflexe et sans réfléchir
А кругом говорили: "Вот парню везет!"
Et tout le monde disait : "Voici un homme chanceux !"

Не стреляй! Не стреляй!
Ne tire pas ! Ne tire pas !
Не стреляй! Не стреляй!

И случилось однажды, о че
м так мечтал. Et un jour est arrivée une chose tellement rêvée,
Он в горящую точку планеты попал.
Il a été envoyé dans un coin chaud de la planète.
Но когда наконец-то вернулся домой,
Mais quand il est finalement rentré à la maison,
Он свой старенький тир обходил стороной.
Il évitait l'ancien stand de tir.
И когда кто-нибудь вспоминал о войне,
Et quand quelqu'un se souvenait de la guerre,
Он топил свою совесть в тяжелом вине.
Sa conscience était enfouie dans une immense culpabilité.
Перед ним, как живой, тот парнишка стоял.
Devant lui, comme vivant, se tenait ce garçon.
Тот, который его об одном умолял:
Il l'implora d'une chose :

Не стреляй! Не стреляй! Ne tire pas ! Ne tire pas !
Не стреляй! Не стреляй!

1979-1989 : Dix ans de guerre en Afghanistan
Lorsque les chars soviétiques forcent la frontière afghane le 27 décembre 1979, prétendument pour rétablir l’ordre dans ce pays ravagé par les crises, personne n’est dupe. C’est encore un pion supplémentaire qui bascule dans l’escarcelle soviétique dans le jeu que se livrent les deux grandes puissances. On ne donne pas bien cher de la rébellion dans ce petit pays enclavé d’Asie Centrale, montagneux et désertique. D’ailleurs qui connaît vraiment l’Afghanistan à cette époque. Un pays lointain et inconnu, coincé entre le Moyen Orient et le sous-continent indien, vague destination pour quelques babas cool à la recherche de substances illicites.

L'armée rouge dans les montagnes afghanes en 83

Pourtant en apparence victorieuse dans les premiers temps, la puissante armée rouge va connaître une défaite qui va la miner profondément et précipiter la chute de l’Union Soviétique. Un conflit qui ,pour les américains qui vont armer et soutenir discrètement la résistance afghane, va devenir le Vietnam soviétique en souvenir de la traumatisante défaite qu’ils ont eux même connu quinze ans plus tôt.

Pour les soviétiques, pourquoi s’intéresser à l’Afghanistan, pays pauvre, quasi féodal et sans grandes ressources ? Situé à la frontière Sud de l’URSS c’est cependant un objectif stratégique des plus intéressants dans leur volonté d’étendre le communisme dans la région, car il leur permet de se rapprocher à la fois des champs de pétrole du Moyen Orient et des mers chaudes de l’Océan Indien.

Lorsque les Soviétiques pénètrent dans le pays celui-ci est secouée par les luttes intestines. La vieille monarchie constitutionnelle s’appuyant sur les chefs de village traditionnels a été renversée par un coup d’état en 1973. Chefs tribaux, démocrates, islamistes et communistes se disputent le pouvoir. L’instabilité règne, assassinats et putsch sanglants se succèdent. En 78, les soviétiques parviennent à installer un régime qui leur est favorable et entament une coopération économique avec l’Afghanistan. Mais ce régime prosoviétique est fragile, contesté et miné par les querelles internes. Fin 79, Leonid Brejnev, lassé du désordre, décide d’intervenir militairement pour soutenir le parti communiste afghan menacé. Les parachutistes de l’armée rouge fondent sur Kaboul, la capitale, alors que les chars passent la frontière Nord. Les soviétiques écrasent toute rébellion et liquident physiquement le président en place jugé trop incontrôlable pour installer un homme bien à eux, Babrak Kamal, à la tête du pays.

Dans un premier temps cette opération semble être un succès complet, mais rapidement les troupes soviétiques qui contrôlent les villes et les vallées doivent faire face dans les montagnes à une rébellion de plus en plus importante. Ce sont ceux que l'on appellera les moudjahiddines, "les combattants de la guerre sainte" qui reçoivent dans les mois qui suivent des renforts venus de tout le monde musulman, un soutien en arme et en argent des Américains.

Un groupe de moudjahiddines au début des années 80

En effet, ceux-ci, après avoir d'abord hésité, réalisent l'importance de freiner l'expansion soviétique dans la région et surtout de se servir de cette guerre où l'armée rouge est directement impliquée comme un moyen de l'affaiblir. C'est ainsi que se met en place "l'opération Cyclone", une alliance curieuse, où l'on retrouve des nations officiellement ennemies comme les Israéliens et les Saoudiens pour financer en secret et organiser le recrutement de volontaires pour aller se battre au côté des Afghans au nom de la solidarité islamique. Armes et volontaires transitent par les camps de réfugiés situés à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan.

Environ 35 000 volontaires venus de tous les pays viennent rejoindre les moudjahiddines dont un certain Oussama Ben Laden, jeune et riche saoudien exalté qui va développer un mouvement basé sur la volonté de chasser les soviétiques pour fonder un régime basé sur la lecture la plus radicale qui soit de l'Islam.
Le Pakistan du général Zia, dictature militaire qui a instauré un islam radical dans son pays et qui compte bien profiter de ce conflit pour étendre sa propre zone d'influence dans la région, favorise dans ce but les groupes fondamentalistes les plus radicaux comme les futurs talibans. Le Pakistan devient le principal allié des États-Unis dans cette lutte contre les Soviétiques et en profite pour jouer un rôle de plus en plus important en organisant sur le terrain la résistance afghane. Dans son conflit contre l'Inde, le Pakistan manque en effet de la profondeur stratégique dont bénéficie son puissant voisin.
[Ci-contre : un peshmerga équipé du fameux missile Stinger, arme qui redonne aux Afghans la maîtrise du ciel]

On peut s'étonner que les Américains laissent faire les Pakistanais et arment des islamistes radicaux qui, bien des années plus tard, les frapperont directement le 11 septembre 2001, mais il faut bien comprendre que dans le cadre de la guerre froide, tout ennemi de l'URSS est un ami potentiel.
Autre particularité, la guerre ne freine pas le trafic de drogue, bien au contraire. De nombreux chefs de guerre cultivent le pavot pour financer leurs achats d'armes. L'Afghanistan produit près de 1500 tonnes d'opium par an à cette époque et devient le premier fournisseur mondial d'héroïne. Une place qu'elle occupe encore aujourd'hui.
Sur le terrain cette politique d'aide et le courage des combattants afghans commencent à porter des coups très durs aux soviétiques, surtout à partir de 1986, lorsque les Moudjahiddines reçoivent des missiles anti-aériens portables "stingers" capable d'abattre hélicoptères et avions de chasse. Les résistants afghans regagnent progressivement le contrôle des principales régions montagneuses du pays harcelant les troupes soviétiques et les contraignant à se fortifier dans les vallées et dans les villes. En retour les Soviétqiues mènent une répression particulièrement dure : bombardements massifs des villages, empoisonnement des puits, usage de gaz de combat et de minage massif (on parle de 20 millions de mines antipersonnel larguées dans le pays).


Les moudjahiddines paradent sur les carcasses des hélicoptères soviétiques

Sur le plan international, l'URSS se voit discrédité. En 1980, les Américains boycottent les Jeux Olympiques de Moscou pour protester contre l'invasion soviétique.
De plus, pour les Soviétiques, la guerre coûte extrémement cher. En hommes bien sûr, mais aussi en crédits militaires, entre 2 et 3 milliards de dollars par an alors que les caisses de l'état sont de plus en plus vides et que les magasins sont vides. Le mécontentement de la population s'accroit quand elle voit revenir les jeunes soldats dans des cercueil de zinc, 14 000 morts et plus de 75 000 blessés. Malgré les efforts de la propagande, les récits des soldats sur la dureté de la guerre et sur les atrocités commises par l'armée rouge censée apporter le bonheur communiste au pays augmente le ressentiment des soviétiques envers leur régime. Ce ressentiment explique le succès de la chanson de DDT. Le parrallèle avec le Vietnam pour les Américains trouve aussi un autre écho avec l'essor du trafic de drogue en URSS souvent alimenté par d'anciens soldats qui se ravitaillent en héroïne en Afghanistan.
Avec l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir et ses tentatives de rapprochement avec l'Occident, il devient impossible de continuer cette guerre qui s'enlise. En 1988 il commence à négocier une trêve avec certains des leaders de la résistance dont le célèbre Commandant Massoud chef de guerre contre le départ en bon ordre des troupes soviétiques.
Le retrait définitif a lieu le 15 février 1989, l'URSS sort épuisée moralement et financièrement par cette guerre qui est une défaite même si elle ne le reconnait pas. La crédibilité du régime communiste soviétique est terriblement ébranlée et ne s'en remettra pas lorsque le mur de Berlin est abattu, six mois plus tard, sous la pression du mécontentement des populations d'Europe de l'Est.

Le départ des chars soviétiques d'Afghanistan, derrière l'ordre apparent se cache une défaite.

Sur le terrain 1,2 millions d'afghans (dont 80% de civils) sont morts, 6 millions ont fui dans des camps de réfugiés essentiellement au Pakistan. Dès que les soviétiques sont partis, une guerre civile éclate pour le nouveau pouvoir (et d'abord pour se débarasser des derniers communistes afghans qui contrôlent toujours la capitale). Les Américains, qui estiment qu'une fois les Soviétiques partis leur tache est terminée se désengagent de la région et laissent leurs anciens alliés se débrouiller entre eux. En 19s96, les talibans ("étudiants" en arabe) fondamentalistes religieux extremement durs menés par le Mollah Omar et inspirés par Ben Laden vont s'imposer et mettre en place un régime basé sur la Charia, recueil de lois religieuses interprétées à partir du Coran. Téléviseurs, cinéma et théâtre sont interdits, les femmes doivent porter la burqa qui les cache de la tête au pied...

Richard Tribouilloy et Etienne Augris


lundi 23 mars 2009

148. Clash : "Washington bullets".

The Clash est un groupe de punk britannique. Le style des Clash ne se cantonne cependant pas au canevas punk classique puisque le groupe se caractérise par sa capacité à intégrer à sa musique des sonorités différentes telles que le reggae, le ska ou encore le dub. Le groupe soigne aussi particulièrement ses textes, assez souvent engagés. Là où la plupart des autres formations punk explosent après un ou deux albums, les Clash parvinrent à durer tout en maintenant la qualité de leur musique. Le morceau présenté ci-dessous est ainsi issu de leur triple album Sandinista sorti en 1981, soit quatre années après l'explosion punk, alors que la plupart des autres formations de ce genre musical n'existent déjà plus.

Dans le titre Washington bullets, Joe Strummer, le leader du groupe, dénonce l'impérialisme américain, soviétique ou chinois et leurs interventions dans de nombreux pays du Tiers-Monde ou non-alignés.

Un jeune de 14 ans a été tué ici / Les Kokane Guns de Jamdown Town / Les clowns tueurs, les hommes de l'argent sale / Ont tiré ces balles de Washington encore une fois

Le premier couplet évoque la violence endémique des ghettos jamaïcains. A Kingstown, les bandes rivales contrôlent les principaux ghettos comme celui de Trenchtown. Chaque gang tente de s'approprier un territoire qui lui sert ensuite de quartier général. Lors des différentes consultations électorales, les candidats n'hésitent pas à s'appuyer sur ces gangs et leurs affidés. Ces compétitions électorales s'accompagnent ainsi de nombreux assassinats.
 

Les Clash semblent ici y voir la main des Etats-Unis. En effet, au cours de la législature précédente, le régime de Manley, leader du PNP apparaît comme pro cubain. Les options tiers-mondiste de Manley déplaisent ainsi profondément aux investisseurs américains, nombreux sur l'île.

Le régime de Manley est pourtant loin d'être communiste. La tentative de réforme agraire (Project Land Lease) qu'il lance reste bien timide. Washington voit en tout cas d'un très mauvais œil les accointances de Manley avec le régime castriste. En réaction on assiste à un gel des investissements de la part des compagnies américaines. On assiste également à une fuite des capitaux.
Dans ces conditions, les élections de 1980 se déroulent dans un climat de guerre civile, la violence pré électorale provoque la mort de 700 personnes. Le rival de Manley, E. Seaga, leader du JLP, tenant de la libre entreprise et donc mieux vu par Washington, l'emporte. Les violences cessent juste après les élections ce qui accrédite la thèse de la manipulation.

Deuxième couplet:
"Comme chaque cellule du Chili le dirait / Les pleurs des hommes torturés / Rappelle toi Allende,et les jours d'avant, / Avant que l'armée ne vienne / S'il te plaît, rappelle toi Victor Jara / Dans le Stade de Santiago / C'est la vérité - de nouveau ces balles de Washington"

Les Clash dénonce ici la mainmise des Etats-Unis sur l'Amérique latine. En effet, depuis le XIX ème siècle, l'Amérique latine se trouve sous la tutelle des EU [la doctrine Monroe élaborée dès 1823 fait de l’A.L. la chasse gardée des EU]. La guerre froide accentue encore le phénomène. Les EU soutiennent les régimes dictatoriaux qui font barrage au communisme et garantissent les nombreux intérêts économiques américains en A.L. (grandes firmes agroalimentaires : United fruit).

Les EU, qui considèrent l'Amérique comme leur chasse gardée depuis le XIXème siècle, font tout pour empêcher la diffusion du communisme sur le continent. Si malgré tout, le communisme s'impose, il ne peut le faire que par la force pour Kissinger. Instaurer le socialisme par les urnes, comme le tente Allende au Chili, constitue un très mauvais exemple pour l'Europe selon Kissinger. Ce dernier affirme: "L'élection d'Allende est grave pour les intérêts américains au Chili et pour le gouvernement américain. Allende est probablement un communiste, un communiste de Moscou." Il convient donc de réagir. L'existence du plus grand parti communiste des Amériques au Chili inquiète particulièrement le département d'Etat américain.


La CIA appuie donc les tentatives de putschs, qui échouent, mais préparent le terrain pour le 11 septembre 1973. On peut considérer en effet, que l'ingérence nord-américaine au Chili a permis l'instauration d'une des dictatures les plus dures du continent, celle de Pinochet.

La junte militaire qui s'y impose le 11 septembre 1973, renverse le gouvernement d'unité populaire de Salvador Allende, élu démocratiquement trois années plus tôt. Allende se tue dans le palais présidentiel de la Moneda. Le putsch porte au pouvoir Pinochet, qui met tout en oeuvre pour extirper le marxisme du Chili. La junte militaire procède à une répression sanglante (au moins 3000 morts, des milliers d'internements sans jugement). Le Parlement est dissous, les partis politiques supprimés. Pinochet prend le titre de “chef suprême de la nation”, en 1974.

Les victimes de ces régimes autoritaires sont les opposants de gauche, les communistes en particulier, mais aussi les populations indiennes.

Les Clash évoque ici Victor Jara. Ce musicien chilien compose de nombreuses chansons engagées, dans lesquelles il dénonce la morgue des puissants ("Las casitas del barrio alto"), fustige l'impérialisme américain (El Derecho de Vivir en Paz) rend hommage aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines (Corrido De Pancho Villa, Camilo Torres, Zamba del Che). Il narre la vie des petites gens, victimes de toutes les humiliations, notamment les populations indiennes (Vientos del pueblo). Arrêté par les militaires lors du coup d'Etat, il est emprisonné et torturé à l'Estadio Chile (renommé Estadio Víctor Jara depuis 2003) puis à l'Estadio Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors sur Santiago.

Troisième couplet:
"Et dans la Baie des Cochons en 1961, / la Havane combattit le playboy sous le soleil cubain / Parce que Castro est d'une couleur, / Plus rouge que le rouge, / Ces balles de Washington / voulaient que Castro meure / Parce que Castro est de la couleur... / ... qui te fera gagner une volée de plomb"
Après une longue guérilla menée dans la sierra Maestra, le Cubain Fidel Castro s'empare du pouvoir le 1er janvier 1959 en renversant la dictateur Batista, homme de paille des Etst-Unis. Le nouveau chef de l'Etat cubain doit aussitôt compter avec l'opposition déterminée des Etats-Unis qui tentent à plusieurs reprises de le renverser ou de l'assassiner. C'est le cas de la vaine tentative de débarquement sur l'île, au niveau de la baie des cochons, en 1961 (opération menée par la CIA avec l'accord de Kennedy). Dans ces conditions, Castro se rapproche de l'URSS et intègre le camp soviétique. Pour les Etats-Unis, la présence d'un Etat communiste à quelques centaines de kilomètres de leurs côtes constitue une véritable défi.

quatrième couplet:
"Pour la toute première fois, / Quand ils eurent une révolution au Nicaragua, / Il n'y eut aucune intervention américaine."
Carter ambitionne de restaurer l'image de marque des Etats-Unis. Il entend mener une politique respectueuse des droits de l'Homme et du droit international. Cette politique se caractérise, notamment, par l'abandon du soutien systématique des Américain aux dictatures faisant barrage au communisme (notamment en Amérique latine).Ainsi avec l'arrivée au pouvoir des Sandinistes au Nicaragua, en 1979. Ces derniers chassent le dictateur Somoza, fidèle allié des Etats-Unis, sans que ces derniers ne ripostent. La chanson des Clash date de 1981. Pourtant très vite, les Américains reprennent leurs viennent habitudes. Ainsi, le successeur de Carter, Ronald Reagan prend son contrepied en politique étrangère.

Conscient du recul de l'influence américiane (en Afrique, en Amérique latine notamment), il annonce que l'Amérique est de retour sur le devant de la scène internationale ("America is back"). De nouveau, l'Amérique latine redevient un champ d'intervention privilégié pour la diplomatie américaine.
En 1983, les Etats-Unis interviennent ainsi à la Grenade afin de renverser le régime procubain de Maurice Bishop. En 1986, Reagan obtient du Congrès le vote d'une aide substantielle aux Contras nicaraguayens en lutte contre les sandinistes.

Cinquième couplet:
Moujahiddins afghans lors de la guerre contre les Soviétiques.

"Et si tu peux trouver un rebelle Afghan / Que les balles de Moscou ont loupées / Demande ce qu'il pense de voter communiste"
La guerre d'Afghanistan débute le 24 décembre 1979 avec l'invasion du pays par les troupes soviétiques. L'Afghanistan est alors en proie à une guerre civile qui oppose les partisans de Nur Mohamed Taraqi, le chef de l'Etat communiste tout juste assassiné à ceux d'Hafizullah Amin, le nouveau dirigeant, lui aussi communiste, mais moins soumis à l'URSS. Elle souligne aussi la volonté d'expansion de l'URSS en Asie centrale. Les Etats-Unis ripostent en s'appuyant sur la résistance afghane des moudjahidins. Malgré l'envoi de 100 000 hommes, l'URSS se révèle incapable de pacifier le pays et lorsqu'il accède au pouvoir, en 1985, Gorbatchev doit reconnaître cet échec. Les troupes soviétiques se retirent d'Afghanistan en 1989.


"Demande au Dalai Lama dans les hauteurs du Tibet / Combien de moines les chinois ont-ils eu ?"Depuis l'invasion du Tibet par la République populaire de Chine en 1949. Les autorités communistes n'ont eu de cesse d'écraser toute forme de résistance. Les spécifictés culturelles tibétaines, notamment religieuses sont bafouées et les moines bouddhistes sévèrement encadrés et exécutés lorsqu'ils protestent.

Chinois, Américains, Soviétiques, Britanniques, pour les Clash, toutes les formes d'impérialisme doivent être dénoncées. Certains trouveront ce message un peu simpliste, en tout cas, il donne lieu à une bonne chanson.

Un très grand merci à Etienne Augris pour sa traduction du morceau.

"Washington bullets" Clash.

Oh! Mama, Mama look there!
Your children are playing in that street again
Don't you know what happened down there?
A youth of fourteen got shot down there
The Kokane guns of Jamdown Town
The killing clowns, the blood money men
Are shooting those Washington bullets again

As every cell in Chile will tell
The cries of the tortured men
Remember Allende, and the days before,
Before the army came
Please remember Victor Jara,
In the Santiago Stadium,
Es verdad - those Washington Bullets again

And in the Bay of Pigs in 1961,
Havana fought the playboy in the Cuban sun,
For Castro is a colour,
Is a redder than red,
Those Washington bullets want Castro dead
For Castro is the colour...
...That will earn you a spray of lead

For the very first time ever,
When they had a revolution in Nicaragua,
There was no interference from America
Human rights in America
Well the people fought the leader,
And up he flew...
With no Washington bullets what else could he do?

'N' if you can find a Afghan rebel
That the Moscow bullets missed
Ask him what he thinks of voting Communist...
...Ask the Dalai Lama in the hills of Tibet,
How many monks did the Chinese get?
In a war-torn swamp stop any mercenary,
'N' check the British bullets in his armoury
Que?
Sandinista!

_____________________________


Oh ! maman, maman, regarde là !
Tes enfants jouent de nouveau dans cette rue
Ne sais-tu pas ce qui s'est passé ici ?
Un jeune de 14 ans a été tué ici
Les Kokane Guns de Jamdown Town
Les clowns tueurs, les hommes de l'argent sale
Ont tiré ces balles de Washington encore une fois

Comme chaque cellule du Chili le dirait
Les pleurs des hommes torturés
Rappelle toi Allende, et les jours d'avant,
Avant que l'armée ne vienne
S'il te plaît, rappelle toi Victor Jara
Dans le Stade de Santiago
C'est la vérité - de nouveau ces balles de Washington

Et dans la Baie des Cochons en 1961,
la Havane combattit le playboy sous le soleil cubain
Parce que Castro est d'une couleur,
Plus rouge que le rouge,
Ces balles de Washington voulaient que Castro meure
Parce que Castro est de la couleur...
... qui te fera gagner une volée de plomb

Pour la toute première fois,
Quand ils eurent une révolution au Nicaragua,
Il n'y eut aucune intervention américaine.
Les droits de l'homme en Amérique
Et bien les gens combattirent le chef
Et le chassèrent... .
Que pouvait-il faire sans les balles de Washington?

Et si tu peux trouver un rebelle Afghan
Que les balles de Moscou ont loupées
Demande ce qu'il pense de voter communiste...
... Demande au Dalai Lama dans les hauteurs du Tibet
Combien de moines les chinois ont-ils eu ? ...
... dans un marais déchiré par la guerre, arrête n'importe quel mercenaire et
Cherche les balles Anglaises dans son arsenal
Quoi ?
Sandinista !



Liens:
- La doctrine Reagan.
- "La politique des bons sentiments" de Carter.
- Retour rapide sur l'histoire du Tibet.
- Les guerres d'Afghanistan.
- la guerre d'Afghanistan, le Vietnam soviétique.

lundi 16 mars 2009

Sur la platine: mars 2009.



1. Majestic Arrows: "If I had a little love".
Depuis 2006, le label Numero Group se consacre aux rééditions soul et funk. La série eccentric soul a ainsi permis d'exhumer quelques pépites rares issues des catalogues d'obscures label. L'extrait retenu est tiré de la compilation consacrée au Bandit Label. On y entend le chant troublant des Majestics Arrows. Les livrets qui accompagnent chaque parution sont particulièrement pointus et instructifs. Quelques autres disques de la série valent particulièrement le détour comme les deux volumes issus des catalogues du Deep city label de Miami ou encore "Good God! A Gospel Funk Hymnal". Pour en savoir plus allez consulter le site de Numero Group.



2. Candie Staton: "Sure as sin".
Le chanteur du groupe Blur, Damon Albarn possède des goûts musicaux très sûrs et ecclectiques. Aussi, avec son label Honest Jons, il se lance dans la réédition d'artistes ou groupes qui lui sont chers. Quelques uns des disques sortis sur le label sont consacrés aux chanteurs de deep soul tels que Bettye Swann, ou encore Candi Staton. La très belle voix de cette dernière fait ici merveille. Il faut dire qu'elle solidement épaulée par les as du mythique studio d'enregistrement de Muscle Shoals.



3. Ella Fitzgerald et Duke Ellington: "Lullaby of Birdland".
Quand deux monstres sacrés se rencontrent, cela ne peut faire que des étincelles... La preuve (spéciale dédicace à Cyril qui m'a fait découvrir ce morceau terrible).

4. Triston Palmer: "Entertainment".
Assez méconnu, Triston Palmer est pourtant un interprète de reggae roots très efficace comme l'atteste cet "entertainment".

5. Soft: "Krim kont la Gwadeloup".
Ce gros tube en Guadeloupe a rythmé les récentes manifestations dans l'île.

6. Sharpshooters: "Balek".
L'épicentre du mouvement grunge peut-être situé à Seattle. En revanche cette métropole du nord-ouest des Etats-Unis n'était jusque ici pas connu comme étant un haut lieu du funk ou de la soul. La compilation dont est tiré ce morceau hypnotique, Wheedle's Groove - Seattle's Finest In Funk & Soul 1965-75, prouve le contraire. Chaudement recommandé.



7. Sharon Jones: "How long do I have to wait for you?". Sharon Jones est une chanteuse de Soul Funk américaine. Dans ses récents albums, elle fait revivre à l’âge d’or deces musiques ( années 60-70). Pour autant, sa musique ne sent pas le formol et elle parvient à y insuffler une souffle de fraîcheur. Elle s'appuie sur un groupe au son très carré, les Dap-Kings. Une touche reggae vient relever les ingrédients du titre retenu ici.

Sharon Jones et ses Dap-Kings.

8. Landfordaires: "Run on for a long time".
Enfin pour clore cette sélection, un titre impressionnant d'une solide formation de gospel, cousine germaine du Golden Gate Quartet. Si ce chant vous rappelle une chanson de Moby, c'est normal puisque ce dernier a samplé ce titre pour s'assurer un gros carton avec son "Run on", décalque très (trop?) proche de l'original.

dimanche 15 mars 2009

147. Emmanuel Jal : "Ninth Ward" (2008)

Pour compléter l'article de Julien Blottière sur les inondations du Mississipi depuis le XXème siècle jusqu'à Katrina, je vous propose d'étudier le titre du rappeur d'origine soudanaise Emmanuel Jal. Ancien enfant-soldat dans le Sud du Soudan, il a réussi à s'enfuir au Kenya avant de se lancer dans le rapgame. Dans son titre "Ninth Ward", il s'intéresse à un quartier de la Nouvelle-Orléans particulièrement touché lors du passage de l'ouragan Katrina en 2005, le South Ninth Ward.

"America the great became America the clown"

Petit rappel : Août 2005. Un ouragan menace la ville de la Nouvelle-Orléans en Louisiane. Ordre est donné à la population d'évacuer la ville. Tous les habitants prennent leur voiture et leurs biens les plus précieux. Tous... sauf ceux qui n'ont pas de voiture. A la Nouvelle-Orléans comme dans tout le pays, les plus pauvres sont souvent les noirs. Dans les quartiers les plus touchés par les inondations, les noirs représentaient 75 % de la population (67% dans toute la ville au recensement de 2000). Comme souvent, les catastrophes naturelles touchent prioritairement et de manière plus grave les populations les plus pauvres qui habitaient les zones les plus exposées au risque. Parmi les quartiers les plus touchés, celui du South Ninth Ward, se situe à l'est de la ville. En cause, la force de l'ouragan, mais aussi la faiblesse des digues protégeant la ville, située sous le niveau de la mer. Le quartier est de nouveau inondé un mois plus tard lors du passage de Rita. En 1965, le quartier avait déjà reçu la visite du président Johnson après le passage de l'ouragan Betsy.

Voyez ci-dessous le cyclone Katrina traversant le Golfe du Mexique jusqu'à La Nouvelle-Orléans :






[L'hélicoptère présidentiel survole la Nouvelle-Orléans le 2 septembre, 5 jours après la catastrophe; source]

La chanson d'Emmanuel Jal insiste surtout sur la gestion déplorable de la crise par les autorités fédérales : de la négligence dans l'entretien des digues à l'incurie de la FEMA (autorité chargée de la gestion des situations d'urgence) en passant par l'indifférence apparente de Georges Bush qui fit débat. Beaucoup datent le basculement de l'opinion vis-à-vis de Bush de cette période. Seules quelques autorités locales comme le maire républicain et noir Ray Nagin (depuis réélu, en photo ci-contre) ont gagné en popularité grâce à leur courage lors de la crise.

Une partie des critiques a également été portée contre les médias, décrivant les noirs comme des pillards et les blancs comme des personnes cherchant à manger.

Pour comprendre le couplet où Jal évoque Bush et les télévangélistes, il faut savoir qu'Emmanuel Jal est un chrétien évangélique convaincu. Mais il ne se reconnaît pas dans la charité telle qu'elle est prêchée par les télévangélistes et par Georges Bush. C'est une sorte de critique du "aide-toi le Ciel t'aidera". Jal reproche aux télévangélistes leur peu d'aide concrète à ceux qui en avaient besoin.


Emmanuel Jal mentionne également les inscriptions en orange sur les maisons. Il s'agit des maisons où des personnes sont décédées lors du passage de Katrina. Selon le bilan officiel, 1500 personnes ont perdu la vie lors du passage de Katrina. 770 000 logements ont été endommagés par Katrina et Rita, qui a également frappé la ville en septembre 2005 [Photo : David Metraux]


Les lenteurs de la reconstruction

La ville de La Nouvelle-Orléans compte aujourd'hui deux fois moins d'habitants qu'en 2000 et une proportion de noirs beaucoup plus faible (seulement 50%). Le débat fait rage entre ceux qui veulent reloger les habitants ailleurs, arguant d'une nécessaire prévention des risques à venir et ceux qui souhaitent reconstruire les quartiers dévastés et qui accusent les premiers de vouloir "blanchir" la ville en menant une sorte de gentrification.

La Nouvelle-Orléans est redevenue en 2008 l'une des villes où la criminalité est la plus forte. Certains quartiers comme le Lower Ninth Ward où seule une maison sur quatre a été reconstruite, ressemblent à des zones de guerre.[graphique : Alternatives internationales]

Mais revenons à la chanson d'Emmanuel Jal. Le début est une référence à une autre chanson bien connue sur un bordel de la ville de la Nouvelle Orléans : "The House Of The Rising Sun". Le titre, dont on ne connait pas avec certitude l'auteur, a été repris de nombreuses fois notamment par The Animals (la plus connue) et en français par Johnny Hallyday ("Le pénitentier"). Retrouvez-les dans la playlist en fin d'article.

Pour des questions de droit, il est difficile de trouver la chanson sur internet, mais vous pouvez acheter l'album, il est très agréable et passionnant.




Découvrez Emmanuel Jal!

Une version live du titre :



Voici les paroles avec une traduction par mes soins :


There is a place in New Orleans Il y a un endroit à la Nouvelle-Orléans

They call the Ninth Ward Ils l'appellent le Ninth Ward

Death and pain from the hurricane La mort et la douleur à cause de l'ouragan

Now folks don't live there no more Maintenant il n'y a plus âme qui vive


(chorus)

America the Great became America the Clown La Grande Amérique est devenue le clown américain

While the whole world frowned Tandis que le monde entier fronçait les sourcils

America the Great became America the Clown La Grande Amérique est devenue le clown américain

While Americans drowned Alors que des Américains se noyaient

They were shouting and screaming and calling on God Ils criaient et hurlaient et appelaient Dieu

Can you help us down here ? Peux-tu nous aider ici-bas ?

Coz in the home of the land of the brave and the free Parc'qu'au pays-même des courageux et des libres

Nobody don't care Tout le monde s'en fiche


Welcome to the Ninth Ward Bienvenue dans le Ninth Ward

Was how the sign read Disait le panneau

Ghost town, land of the dead Ville-fantôme, pays des morts

No one around, no one at all Personne alentour, pas un chat

Just the orange writing Juste ces écritures orange

That they sprayed on the wall Qu'ils ont écrites sur les murs

Representing all the swollen corpse that they found Représentant tous les corps gonflés qu'ils ont trouvé

Corpse of the poor too poor to leave town Corps des pauvres trop pauvres pour quitter la ville

Everybody else was safe and sound Tous les autres étaient sains et saufs

While men, women, and children of the Ninth Ward drowned Alors que les hommes, les femmes et les enfants du Ninth Ward étaient noyés


repeat chorus


I could imagine George Billy and the Hilly Bush crew Je pouvais imaginer George Billy et l'équipe Hilly Bush [allusion probable à Georges Bush]

Who have so much money till they don't know what to do Qui ont tant d'argent qu'ils ne savent qu'en faire

One more finger for the Christian TV too Un peu plus pour la télé chrétienne [télévangélistes ?]

Who say give us your money and God will bless you Qui disent donnez-nous votre argent et Dieu vous bénira

Charity my friend is a Christ like thing La charité, mes amis, est un acte à la manière de Christ

Show love to God by how you treat Human beings you Montrez de l'amour pour Dieu par la manière dont vous traitez les êtres humains, Vous

Speak in tongues prophesize until your cows come home Parlez en langue et prophétisez jusqu'à ce que le vaches rentrent au bercail

And you're holding season tickets to the silver dome Et vous achetez des tickets pour aller au silver dome

There is a place in New Orleans

They call the Ninth Ward

Death and pain from the hurricane

Now folks don't live there no more




D'autres titres qui parlent aussi de Katrina et/ou du Ninth Ward :


  • Dans un style très différent mais également pour dénoncer l'abandon de ce quartier, un groupe de Chicago du nom de Blue Meanies a écrit "The Devil Came to the Ninth Ward" (les paroles ici).
  • Kanye West, habitué des coups de gueule (pas toujours justifiés d'ailleurs...) s'était distingué en affirmant alors que "Georges Bush s'en fiche des noirs" et en dénonçant les médias montrant une famille noire et une famille blanche, l'une "pillant" l'autre "cherchant à manger"... :

  • Dans la chanson "Flashing Lights" (Album Graduation), il dit cette phrase : "Feeling like Katrina with no FEMA". Autre rappeur de Chicago (mais du West Side) Lupe Fiasco, démarre son album The Cool par un petit speech dit par sa sœur qui évoque Katrina.
  • Le rappeur qui vend le plus en ce moment aux Etats-Unis, Lil Wayne, figure de proue du rap Dirty South, est né à La Nouvelle-Orléans. Il a réalisé avec Juelz Santana plusieurs mixtapes qui ont pour titre 'From 911 to Katrina". Vous pouvez en écouter des extraits ici.
  • 9th Ward est aussi le nom d'un rappeur de la Nouvelle-Orléans, né dans le quartier. Il y a grandit à l'époque où le Ninth Ward avait l'un des taux de criminalité les plus élevés.
  • Enfin le rocker Tom Waits aurait souhaité être à la Nouvelle-Orléans (dans le Ninth Ward)... en 1976.
Tous ces titres dans la playlist :


Découvrez la playlist Katrina avec Tom Waits


Pour prolonger sur ces aspects, plusieurs ressources sur le net, notamment sur les Cafés Géo :