mercredi 25 février 2009

143. Black Uhuru:"I love king Sélassié".

Le président français Georges Pompidou et Haile Selassie en janvier 1973, à Addis-Ababa.

Fils du ras Makkonen et neveu de Ménélik II, Hailé Sélassié appartient à une famille qui prétend descendre de Ménélik Ier, fils du roi Salomon et de la reine de Saba. Désigné comme régent et héritier du trône d'Ethiopie en 1917 par sa tante, l'impératrice Zaoditou, il parvient à faire rentrer son Etat à la SDN en 1923. Il modernise son pays, abolissant par exemple l'esclavage en 1924. Devenu empereur en 1930, il s'aligne sur les démocraties occidentales; mais, malgré ses protestations à la tribune de la SDN, il ne peut résister à l'offensive de l'Italie fasciste en 1936. Réfugié à Londres, il ne retrouve son pouvoir qu'après la fuite des Italiens devant les forces britanniques, en 1941.

En 1955, Hailé Sélassié préside à la mise en place d'une nouvelle constitution instituant un Parlement élu au suffrage universel. Dans les faits, la modernisation reste très limitée. Monarque de droit divin, Sélassié concentre tous les pouvoirs et s'appuie sur l'Eglise éthiopienne qui dispose d'un monopole cultuel absolu, au grand mécontentement des communautés musulmanes. Dans le même temps, les difficultés sociales restent très préoccupantes. Par exemple, au début des années 1970, le pays compte 95% d'analphabètes. Enfin, les institutions ne permettent pas la démocratisation véritable du régime. La censure sévit avec virulence et la police détient des pouvoirs arbitraires.

Hailé Sélassié et Winston Churchill en 1954.

Dans ces conditions, des oppositions multiples voient le jour.
- Les officiers subalternes de l'armée, mal payés, s'agitent.
- Depuis 1960, l'Ethiopie a annexé l'Erythrée, au nord de son territoire, déclenchant une résistance armée du Front Populaire de Libération de l'Erythrée (FPLE).
- Au sud, la Somalie convoite la province éthiopienne de l'Ogaden.

- Les étudiants et les intellectuels se montrent de plus en plus critiques à l'égard d'un pouvoir incapable de répondre à leurs aspirations libérales.
- Enfin, le pouvoir s'avère incapable de porter secours aux victimes de la terrible famine qui s'abat sur les provinces du centre et du nord-ouest, en 1973.


L'agitation prend une ampleur exceptionnelle à partir de 1974, tant chez les étudiants à Addis-Abéba que dans les garnisons. Le 12 septembre 1974, un Comité de coordination des forces armées (le Derg, "comité" en amharique) dépose l'empereur après avoir phagocyté toutes les institutions. Hailé Sélassié mourra l'année suivante alors qu'il était emprisonné, sans doute assassiné sur ordre de Mengistu, le nouvel homme fort de l'Ethiopie (il restera au pouvoir jusqu'en 1991 avant de s'enfuir pour le Zimbabwe de Mugabe. Il a été condamné par contumace à la réclusion à perpétuité pour génocide puis condamné à mort en mai 2008).

Raul et Fidel Castro en compagnie du dictateur Mengistu.

Dans ces conditions, comment expliquer l'aura du Ras Tafari et la fascination qu'il parvint à susciter, chez les rastas, mais aussi sur la scène internationale? D'abord, Hailé Sélassié maîtrise son image à la perfection. Surtout, il ne ménage jamais sa peine lorsqu'il s'agit de voyager pour aller à la rencontre des grands leaders mondiaux. Pour illustrer cette diplomatie active, rappelons qu'il fut le premier souverain africain à entrer à la SDN. Après la seconde guerre mondiale, il utilisera aussi fréquemment la tribune de l'ONU pour justifier ses actions. Surtout, l'empereur joue un rôle important dans les affaires africaines. Ainsi, en 1963, c'est à son initiative qu'est fondée l'Organisation de l'unité africaine (OUA), dont le siège est d'ailleurs fixé à Addis-Abeba.

Comme nous l'avons vu, à partir des années 1930, Haile Selassie devint un véritable Dieu vivant pour les adeptes du rastafarisme (lire ici l'article consacré au Rastafari, Dieu des rastas). Le reggae étant le vecteur musical de ce courant religieux, on ne sera guère surpris du nombre d'odes à Jah. Mieux, c'est même pour les adeptes du reggae roots le seul thème digne d'intérêt. Ici, le groupe Black Uruhu chante les louanges du négus éthiopien. Le morceau très puissant est tiré de l'album Love crisis, enregistré en 1977, sous la houlette du très grand producteur Prince Jammy.



- Enfin, ultime hommage de Marley à Selassie, le vibrant Jah Live, qu'il compose quelques mois après le décès de l'ancien empereur. Pour Marley, comme pour tous les rastas, Selassie reste bien vivant:


* Liens:

- L'Ethiopie sur le blog:
Gainsbourg:"Negusa nagast".
Bob Marley: "War".

- L'ex-dictateur éthiopien Mengistu reconnu coupable de génocide sur le Monde.fr.
- Le Courrier internationa.com: "Un dictateur peut en cacher un autre".

jeudi 12 février 2009

Sur la platine: fin février 2009.

Keith and Tex.



1. Keith and Tex: "This is my song". Cette pépite jamaïcaine est interprétée par un duo oublié, les fabuleux Keith and Tex. Sans rien enlever aux mérites du duo, il convient de souligner la production très soulful du génialissime Derrick Harriot. Quelques unes de ses productions furent compilées par le label français Mackasound dans deux compilations exceptionnelles (d'accord cela fait beaucoup de compliments, mais il les mérite).


2. Fred Wesley: "You sure love to the ball". Ce tromboniste, et surtout arrangeur de jazz et de funk, se fit connaître comme directeur musical de James Brown. C'est d'ailleurs accompagné des JB's qu'il enregistre cette reprise somptueuse du morceau de Marvin Gaye.


3. Dinah Washington: "Cry me a river". La "queen of the blues" pose sa voix de velours sur ce standard ultra connu. Frissons garantis. [ce remix est issu du dernier volet de la série de compilations Verve remixed].

Dinah Washington.

4. Gnarls Barkley: "Who's gonna save my soul". Ce groupe mélangeant avec bonheur hip-hop / soul et électro est composé du producteur Danger Mouse (MF Doom) et du rappeur Cee-Lo (Goodie Mobb). Leur gigantesque tube Crazy a, paradoxalement, éclipsé leur tout dernier album, pourtant excellent. Sur ce titre gorgé de soul, la voix sensuelle de Cee-Lo s'avère particulièrement sensuelle et séduisante.

5. Funk Brothers: "Bernadette". Un instrumental irréprochable de l'équipe de choc des studios Motown. Ce titre permet aussi de rappeler que derrière les chanteurs et chanteuses exceptionnels se cachent une galaxie d'instrumentistes hors-pairs, trop souvent négligés, et pourtant à l'origine du son de la compagnie. La basse de James Jamerson, omniprésente, sert de colonne vertébrale au morceau.

6. Smokey Robinson: "Virgin man". La voix haut perché et troublante de Smokey Robinson se pose avec délicatesse sur cette chanson très douce.

7. Charlie Winston: "Like a hobo". Gros buzz autour de ce jeune britannique. Il faudra sans doute le juger sur la longueur, en tout cas cette chanson ne manque pas de charme.


Charlie Winston.

8. Danyel Waro: "Banm kalou banm". Waro est une des voix les plus célèbres du maloya réunionnais. Cette musique traditionnelle fut durement réprimée dans les années 60. En 1976-1977, Waro fut emprisonné comme insoumis en métropole pour son service militaire. Depuis, il n'eut de cesse de défendre sa langue créole et le maloya.

Danyel Waro.

Ici, Waro évoque les réminiscences de l'esclavage, les séquelles du colonialisme et l'acculturation qui l'accompagne (le déni de la langue créole), l'exil forcé des jeunes vers la métropole.
Chroniquant le disque «Foutan Fonnkér», dont est issu ce morceau, Richard Robert définissait ainsi le maloya : «… éclatante fleur de peine, de colère et d’espoir, plante réfractaire poussée dans les anfractuosités d’une histoire dure et sèche, grandie à l’ombre d’un peuple qui a subi le fouet de l’esclavagisme, du paternalisme blanc-bec, des lois normatives de la République. C’est un artisanat de survie, longtemps condamné à la clandestinité, partagé, malaxé et perpétué par tout ce que l’île a pu compter comme “bâtards” meurtris, Africains, Indiens, Malgaches ou “petits Blancs” comme Waro.»

Liens:
- Pour en savoir plus sur le maloya et Danyel Waro.

142. Bob Marley:"War". (1976)

Quelques mois seulement après la création de l'Organisation de l'Union Africaine, à Addis-Abeba, l'empereur éthiopien Haïlé Sélassié prononce une allocution en amharique devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, à New York, le 4 octobre 1963.


Treize ans plus tard le Jamaïcain Bob Marley met en musique une partie du discours. Le panafricanisme semble ici le maître mot. En effet, l'empereur éthiopien, lorsqu'il évoque l'Afrique parle du continent comme si il s'agissait d'une entité soudée et unie. Il entend encourager et créer un sentiment de solidarité chez les populations du monde africain (y compris les Afro-Américains). Il rencontre évidemment un grand succès auprès des rastas jamaïcains.

Ces derniers vénèrent Jah, leur Dieu. Pour eux, Hailé Sélassié est un Dieu vivant, le messie, descendant direct du roi Salomon (pour en savoir plus: voir l'article consacré au negus sur ce blog). D'ailleurs, lors d'un voyage en Jamaïque en 1966, le Ras Tafari est impressionné par la masse de rastas prosternés devant lui lors de sa descente d'avion. Gênés par la vénération qu'on lui porte, il n'acceptera d'ailleurs jamais complètement d'être ce Dieu vivant. Cela dit, il donnera tout de même un bout de territoire éthiopien aux rastas qui voudraient se rendre en Ethiopie. A sa mort, en 1975, Marley rendra un ultime hommage au négus en composant son morceau Jah live.

Member of the Imperial Ethiopian Government [Public domain]  

  La chanson war fournit un instantané de la situation du continent africain en 1963. A cette date, le Maghreb, la plupart des pays d'Afrique noire, francophone, anglophone et belge, sont indépendants. L'Afrique australe, en revanche, reste soumise et ferme donc la marche du processus de décolonisation. De fait, les colonies portugaises restent solidement tenues par la dictature de Salazar ("Et en attendant que les régimes ignobles et malheureux Qui tiennent nos frères, en Angola, au Mozambique"), tandis que le régime d'apartheid sévit toujours avec virulence en Afrique du sud et en Rodhésie ["Et en attendant que les régimes ignobles et malheureux Qui tiennent nos frères (...) en Afrique du Sud, dans un esclavage moins qu'humain aient été renversés ... "]. Au nom du panafricanisme et de la solidarité entre Etats du Tiers-Monde, Selassie appelle à la lutte contre la colonisation et les régimes racistes. Il prône des valeurs nobles: la non-violence, la tolérance... Les mauvaises langues auront beau jeu de souligner le décalage entre ce catalogue de bonnes intentions et l'autoritarisme dont il continue à faire preuve dans son pays (nous vous en reparlerons très bientôt).

"War"- Bob Marley (1976).

Until the philosophy
Which hold one race
Superior and another, inferior
Is finally, and permanently
Discredited and abandonned
Everywhere is war
Me say war
That until there're no longer
First class and second class
Citizens of any nation
Until the colour of a man's skin
Is of no more significance
Than the colours of his eyes
Me say war
That until the basic human rights
Are equally guaranteed to all
Without regard to race
Dis a war
That until that day
The dream of lasting peace
World citizenship
Rule of international morality
Willl remain in but a fleeting illlusion
To be pursued
But never attained
Now everywhere is war, war
And until the ignoble and unhapppy regimes
That hold our brothers in Angola, in Mozambic,
South Africa, sub-human bondage
Have been toppled
Utterly destroyed
Well everywhere is war
Me say war
War in the east
War in the west
War up north
War down south
War, war
Rumours of war
And until that day
The African continent
Will not know peace
We africans will fight it
We find if necessary
And we know we shall win
As we are confidents
In the victory
Of good over evil, good over evil
Good over evil, good over evil...

.................

En attendant que la philosophie qui tient une race pour Supérieure et une autre comme inférieure
Ne soit, enfin et définitivement, discréditée et abandonnée
Partout c'est la guerre, Je dis : guerre
En attendant qu'il n'y ait plus de citoyens
De première et de deuxième classe, dans chaque nation,
En attendant que la couleur de peau d'un homme
N'ait pas plus de signification que la couleur de ses yeux
Je dis : guerre
En attendant que les droits fondamentaux de l'homme soient justement Garantis pour tous, sans considération de race
C'est la guerre
Tant que ce jour n'est pas advenu,
Le rêve d'une paix durable, d'une citoyenneté mondiale,
D'un règne de moralité internationale
Ne restera qu'une illusion éphémère
Poursuivie, mais jamais réalisée
Maintenant partout c'est la guerre, la guerre
Et en attendant que les régimes ignobles et malheureux
Qui tiennent nos frères, en Angola, au Mozambique, en Afrique du Sud, dans un esclavage moins qu'humain aient été renversés, complètement détruits
Et bien, partout c'est la guerre, je dis : guerre
Guerre à l'est, guerre à l'ouest
Guerre au nord, guerre au sud
Guerre, guerre, rumeurs de guerre
Et en attendant ce jour, le continent africain
Ne connaitra pas la paix, nous, les Africains, combattrons
Nous pensons que c'est nécessaire et nous savons que nous gagnerons
Puisque nous sommes sûrs de la victoire
Du bien sur le mal, du bien sur le mal, du bien sur le mal Du bien sur le mal, du bien sur le mal, du bien sur le mal


Liens:
- L'Afrique enchantée du 22 août 2007, sur France inter, consacrée à l'Ethiopie.
- Le discours de Sélassié à la tribune de l'ONU.

- Le morceau Zimbabwe de Bob Marley décortiqué sur L'Histgeobox.
- Le discours du Ras Tafari à la tribune de l'ONU ( mp3: cliquez droit et "enregistrer sous").

vendredi 6 février 2009

141. Kanye West (feat. Jay-Z) : "Diamonds from Sierra Leone" et Lupe Fiasco : "Conflict Diamonds" (+Nas : "Shine On Em")

Les matières premières semblent pour certains pays une malédiction alors qu'ils devraient permettre le développement. Derrière beaucoup de conflits qui déchirent les pays africains, la lutte pour l'appropriation des richesses est à la fois une fin et un moyen. La captation et le pillage des ressources se font grâce à la force et servent à entretenir des groupes armés aux intentions criminelles. Il en est ainsi de la République démocratique du Congo, dont je vous ai déjà parlé grâce à Baloji ou encore de l'Angola pour le diamant. Autre cas dramatique, toujours à propos du diamant, celui de la Sierra Leone. [Photo de Sylvain Savolainen : Des diamants découverts en Sierra Leone]

Les "diamants du sang" en Sierra Leone

Cette ancienne colonie britannique de 5,4 millions d'habitants coincée entre la Guinée et le Liberia a en effet connu une guerre civile durant les années 1990. Exactions contre les civils (notamment mains coupées), travail forcé, enrôlement de force des enfants, trafic du diamant pour financer l'achat d'armes, aventuriers et mercenaires : Tels sont les sinistres ingrédients de l'histoire récente du pays. Éclatant peu après la guerre civile qui sévit dans le Liberia voisin, le conflit en Sierra Leone y est étroitement lié. Certains protagonistes des deux conflits font alliance, à l'image du rebelle libérien Charles Taylor (en photo ci-contre dans les années 1990) et du RUF (Revolutionnary United Front), principal mouvement de lutte armée et l'un des plus sanguinaires à l'image de son chef Foday Sankoh.
Charles Taylor s'est formé à la guérilla dans les camps d'entraînement de Khadafi en Lybie et a même été soutenu un temps par le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Taylor mène donc une guérilla au Liberia, où il arrive au pouvoir en 1997, avant de l'exporter en Sierra Leone. Le principe : S'emparer des diamants dont regorge le pays en aidant en échange les rebelles du RUF à s'armer. En lien avec le marchand d'armes Viktor Bout (arrêté en 2008 et qui a inspiré le personnage principal de Lord Of War), il fournit au RUF des armes en échange des diamants qui sont cachés dans des pots de mayonnaise. Le RUF se charge donc de faire extraire les diamants dans des conditions dignes de l'esclavage, en n'hésitant pas à trancher la main droite de nombreux civils, "spécialité" du mouvement de Foday Sankoh (ci-contre lors de son arrestation). Celui-ci a été arrêté en 2000 après avoir tenté de prendre en otage des casques bleus et est mort en prison. Charles Taylor comparait en ce moment devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone pour tous ces faits. La récente comparution de Naomi Campbell et de Mia Farrow a d'ailleurs donné au procès davantage d'exposition médiatique...

A l'autre bout de la chaîne, les "diamants du sang" sont ensuite "blanchis" puisque ne provenant pas officiellement d'une zone de guerre mais certifiés Libériens. Ils sont travaillés et mis en vente à Tel Aviv, Anvers et New York. Avant d'arriver dans les bijouteries....
Voici un schéma très intéressant réalisé par l'Atelier de cartographie de Sciences-Po sur le conflit et ses enjeux :




Cecil Rhodes et De Beers

Le numéro un mondial du commerce du diamant est le Sud-Africain De Beers, créé en 1888 par Cecil Rhodes dont parle Lupe Fiasco. C'est un homme d'affaires britannique qui a fait fortune dans le commerce du diamant au XIXème siècle. Arrivé en Afrique du Sud (alors colonie britannique) en 1870, il s'installe à Kimberley sur les terres de l'ancien fermier De Beers. En même temps que l'exploitation du territoire, il est l'un des principaux promoteurs de la formation d'un vaste ensemble dominé par la couronne britannique en Afrique australe (Rhodésie, Bechuanaland, Cap, Natal, Orange, Transvaal). Il accède à des responsablités politiques, développe des infrastructures et mène des explorations. Il ne parvient pas à empêcher le conflit avec les Boers dirigés par Kruger qui entraîne la guerre (1899-1902). Rhodes reste un personnage fascinant et controversé, capable du meilleur comme du pire dans ses menées impérialistes.
Aujourd'hui encore la De Beers fait régulièrement face à des accusations sur les conditions de l'extraction du diamant. Un processus dit "de Kimberley" a été entamé en 2003. Il a pour but de rendre plus transparent le commerce du diamant et d'empêcher que les "diamants du sang" ne continuent à se retrouver sur le marché international. [Caricature faisant allusion au projet de Rhodes de relier Le Caire au Cap par un chemin de fer qui faciliterait l'emprise britannique du Nord au Sud de l'Afrique]

L'attrait de beaucoup de personnes pour les diamants et l'intérêt de certains rappeurs très portés sur le "bling-bling" a donc conduit d'autres rappeurs nettement plus conscients à mettre le sujet sur le tapis.

Ce qu'ils dénoncent, ce sont les conditions dans lesquelles sont extraits les diamants et l'usage qui est fait des revenus qu'ils rapportent. Mais c'est surtout la passivité voire la complicité des pays occidentaux dans cette situation. Comment, en effet, acheter tranquillement un diamant venant de cette région une fois connues les conditions de son extraction ?

Quelques liens pour aller plus loin sur la question des "diamants du sang" : Sur le site d'Amnesty Intenational (qui a réalisé en 2007 une campagne-choc sur le sujet), sur celui de l'ONU. Sur les deux films : Lord Of War et Blood Diamond. Une playlist sur les chansons qui parlent du pillage des ressources en Afrique et ailleurs (avec un blind-test pour essayer de reconnaître les interprètes).


L'histoire d'une chanson

L'histoire de cette chanson est un peu compliquée, je vais tenter de vous la restituer, sachant que certains points semblent encore peu évidents.
Au moment de la sortie de Late Registration, deuxième album et grand succès (personnellement mon préféré), Kanye West est accusé par certains de plagiat pour un de ses titres. Il s'agit de "Diamonds from Sierra Leone". Le morceau apparaît d'ailleurs deux fois sur l'album. Une première version qui, malgré le titre évoquant la Sierra Leone, parle surtout de... Kanye, bref un egotrip. La deuxième version, un remix, comporte un couplet avec Jay-Z, l'un des fondateurs du label Roc-a-fella et star incontournable du rap game new yorkais depuis la fin des années 1990. Jay-Z joue un peu le rôle du dealer (ce qu'il fut dans une autre vie...) qui se fiche pas mal de la provenance des diamants. J'aime bien l'une de ses punchlines : "I'm not a businessman I'm a business, man. Let me handle my business, damn !" Le texte est un peu plus conscient et dénonce plus clairement l'aveuglement des occidentaux en général et des dealers des quartiers pauvres américains en particulier sur la provenance des diamants qui les font tant rêver. Kanye fait un clip (tourné en extérieur à Prague) où il insiste sur ce message.

Plusieurs accusent donc Kanye West d'avoir copié l'idée d'un autre rappeur, celle d'utiliser le sample de Shirley Bassey pour parler des diamants du sang. Rappelons que la chanson écrite par J. Barry et D. Black, interprétée par la britannique Bassey était le thème d'un James Bond de 1971 qui s'appelait tout simplement Les diamants sont éternels (Diamonds Are Forever).
Avant même la sortie de l'album de West en 2005, circule en effet dans les rues et sur le net un titre d'un jeune rappeur du Westside de Chicago, l'un des "rookies" qui monte, Wassulu Muhammad Jaco alias Lupe Fiasco (en photo ci-contre). En fait, la production est bien de Kanye West. Lupe Fiasco s'en est inspiré pour écrire ses propres paroles, beaucoup plus conscientes que celles de son aîné avec qui il travaille d'ailleurs (notamment sur "Touch The Sky" puis dans le collectif CRS réunissant West, Fiasco et Pharell Williams).

Un autre rappeur, Nas, a écrit la chanson "Shine On" de la B.O.F. du film Blood Diamond sur le même thème. Il parle également des autres aspects de la guerre comme l'utilisation des enfants-soldats.

A contrario, il y a ceux qui s'en moquent délibérément. Akon a même décidé de se lancer dans le business du diamant en rachetant une mine en Afrique du Sud...

Voici les diférentes versions en vidéo, je vous ai mis ensuite les paroles des titres évoquées et des extraits traduits :

Celle de Kanye West :


Celle de Lupe Fiasco :



Celle de Nas :


Et si on met tout ça ensemble, ça donnerait à peu près ceci...



Voici un extrait des paroles de la version remix de Kanye West :

(Intro: Sample de Shirley Bassey)
Diamonds are forever Les diamants sont éternels
They are all I need to please me C'est tout ce dont j'ai besoin pour me satisfaire
They can stimulate and tease me Ils peuvent me stimuler et me taquiner
They won't leave in the night Ils ne partiront pas au milieu de la nuit
I've no fear that they might desert me Je ne redoute pas qu'ils me délaissent

Good Morning, this ain't Vietnam still Bonjour, ceci n'est pas le Vietnam pourtant

People lose hands, legs, arms for real Des gens perdent leurs mains, leurs jambes, leurs bras pour de vrai
Little was known of Sierra Leone On savait peu de chose sur La Sierra Leone
And how it connect to the diamonds we own Et comment le pays est lié aux diamants que l'on porte

When I speak of Diamonds in this song Quand je parle des diamants dans cette chanson

I ain't talkin bout the ones that be glown Je ne parle pas de ceux qui brillent
I'm talkin bout Rocafella, my home, my chain Je parle de ma maison Roc-A-Fella [sa maison de disques]
These ain't conflict diamonds, Ma chaîne, ce ne sont pas des diamants de zones de conflit

Is they Jacob? don't lie to me mayne Pas vrai Jacob ? Ne me ment pas mec [allusion probable au rôle des négociants juifs d'Anvers dans le commerce du diamant]
See, a part of me sayin' keep shinin', Tu vois, une partie de moi dit "continue de briller"
How ? when I know of the blood diamonds Comment ? Quand j'ai des inforamtions sur les diamants du sang
Though it's thousands of miles away Bien que cela soit à des milliers de miles d'ici

Sierra Leone connect to what we go through today La Sierra Leone est liée à ce que nous vivons aujourd'hui
Over here, its a drug trade, we die from drugs Par ici il y a du commerce de drogue, on meurt de la drogue
Over there, they die from what we buy from drugs Par là-bas ils meurent de ce qu'on a acheté avec l'argent de la drogue

The diamonds, the chains, the bracelets, the charmses Les diamants, les chaînes, les bracelets, les colliers
I thought my Jesus Piece was so harmless Je pensais que ma médaille de Jésus était inoffensive
'til I seen a picture of a shorty armless Jusqu'a ce que je vois la photo d'un gamin sans bras [jeu de mot entre harmless et armless]

And here's the conflict Voila le conflit

It's in a black person's soul to rock that gold C'est dans l'âme d'un black de faire briller cet or
Spend ya whole life tryna get that ice Passer toute sa vie à essayer d'obtenir ce diamant
On a polar rugby it look so nice Qui ve être si beau sur un polo de rugby

How could somethin' so wrong make me feel so right, right ? Comment quelque chose de si mauvais peut me faire sentir aussi bien ?

'fore I beat myself up like Ike D'accord ? Avant que je me tape comme Ike [Ike Turner ?]

You could still throw ya Rocafella diamond tonight, Tu ne pourras pas jeter tes diamants du Roc-A-Fella ce soir
'cause Parce que

[Refrain] Diamonds are forever Les diamants sont éternels


Voici les paroles de la version de Lupe Fiasco :
[J'ai essayé de vous le traduire mais il y a sûrement des erreurs donc soyez indulgents. Dans les paroles de Lupe il y a souvent des allusions et des sens cachés que je ne perçois évidemment pas tous, n'hésitez pas à me faire des suggestions]
(Intro: Sample de Shirley Bassey)
Diamonds are forever Les diamants sont éternels
They are all I need to please me C'est tout ce dont j'ai besoin pour me satisfaire
They can stimulate and tease me Ils peuvent me stimuler et me taquiner
They won't leave in the night Ils ne partiront pas au milieu de la nuit
I've no fear that they might desert me Je ne redoute pas qu'ils me délaissent

Uhh, F and F, uhh
Diamonds are forever
Yeah, ya no what im saying Ouais, tu sais ce que je veux dire
I figure, I feel like i should just, ya no Je sens que je devrais juste, tu sais
Show people the other side that wonder where, ya no wat im sayin, that are presently unaware.Montrer aux gens l'autre côté qui est important, tu vois ce que je veux dire, ceux qui ne sont pas conscients
They dont know about it, ya no wat im sayin, ya no jus show em there's another side to this thing right here,
its called bling! Ils ne savent rien de tout ça, tu vois ce que je veux dire, tu sais, juste leur montrer l'autre côté de ces choses ici, qu'on appelle "bling" !
[Verse 1:]
Allow me to break down the game, Permets-moi de briser le game [nom pour le milieu du rap]
behind the bracelets, earrings, chains, watches and rings. Derrière les bracelets, les chaînes, les montres et les bagues
The bling, the crystal incrusted, princess flooded, canary studded, blue coloured and blood stained. Le "bling", incrusté de cristal , noyé sous les princesses, parsemé de canaris, bleu et tâché de sang
Yeah the older brother of the drug game, Ouais, le frère ainé du trafic de drogue
that give her a fame, then take away her lane. Qui le rend célèbre, et lui emporte sa ligne
the empowerer of the kings that came to claims and disease Qui donne sa puissance aux rois qui vinrent pour les réclamations et maladies
believe wat the native people were saying. Crois ce que les gens du coin disaient
Believe, my engagement ring received and flossed at the cost of a bondage child minus pain. Crois, ma bague de fiançailles reçue et enfilée au prix d'un enfant captif moins la douleur.
Long ago kings use to wear em in their armour, when they fought other armies, because it use to scare em.Il y a longtemps les rois le portait sur leur armure, lorqu'ils combattaient d'autres armées, parce que cela leur faisait peur
If you wasn't rich couldn't wear em.Si tu n'étais pas riche, tu ne pouvais pas en porter
Witches use to marry, and they'd shoot you before they share em. Les sorcières se mariaient, et elles t'auraient tué plutôt que de les partager.
The gift and the curse, the venom and the serum. Le cadeau et la malédiction, le venin et le sérum
Most hated ladies best friend get murked for a clip.Le meilleur ami des femmes les plus haïes assombri pour un bijou.
[Chorus]
Diamonds are forever...
[Verse 2:]
Cecil Rhodes sold war and genocide Cecil Rhodes a vendu la guerre et le génocide
To the countryside just to get his shine on! A la campagne juste pour le faire briller !
I fear what De Beers and his peers use to do, before the world really knew, just to get their "mine" on ! Je crains ce que la De Beers et ses semblables font, avant que le monde sache vraiment, juste pour continuer leur "mine" [jeu de mot sur mine et le mien]
Making paper with slave labour and hittin little kids with life time bids making em cut and shine stones. Faisant du chiffre avec du travail forcé et frappant les petits enfants avec des contrats à vie, les faisant tailler et briller des pierres.
Inflating the price and making em look nice and i wasnt thinking twice when i was putting mine on. Augmentant le prix et les faisant paraître beau et je n'y pensais pas deux fois lorsque je mettais la mienne.
About a young shorty in Sierra Leone or other conflict countries that people call home. Apropos d'un gamin de Sierra Leone ou d'autres pays en guerre que les gens appellent leur maison
I figured i would never go to Angola so it never did affect me that maybe indirectly.Je me figurais que je n'irais jamais en Angola donc cela ne m'a jamais affecté sinon peut être indirectement
That my necklace was funding a rebellion or a military coup, Que mon collier pouvait financer une rébellion ou un putsch militaire
Started by militias that dont believe in following none of Geneva's rules. Pepétré par des milices qui ne pense pas à suivre une seule des conventions de Genève
I was brushing off the haters, trying to be cool.J'envoyais balader les haineux, essayant de rester cool.
Didnt have a clue that the rapper was helping the rapers, raiders of the villagers, pillagers of the schools. Je n'avais aucune idée que le rappeur aidait les violeurs [jeu de mot rapper et raper : violeur], les pilleurs de vilages et d'écoles
Shooters of the innocent, torturers of the witnesses, burners of the businesses Tueurs d'innocents, tortionnaires des témoins et incendiaire de sociétés.
And my bracelet was the fuel. Et mon bracelet était le combustible
Uhh, i aint pushing an agenda homie, Je ne veux pas faire la promotion d'un programme, compatriote
Im just pushing the facts, Fuck Bush! Je mets juste les faits en avant, Fuck Bush !
Cuz there's people doin worse on this earth and they're black, Parce qu'il y a des gens qui font bien pire sur cette terre et ils sont noirs
I took it for years now let me bring it back, Je le sais depuis des années, maintenant laisse-moi en reparler
We all know on foreign shores that they finance wars, but asks yourself do they finance yours.Nous savons tous à l'étranger qu'ils financent des guerres, mais demandez-vous s'ils financent les votres
When i first got mine i took em out on tour, they only lost half the value when i took em out the store.La première fois que j'ai eu le mien, je l'ai emmené faire un tour, il a seulement perdu la moitié de leur valeur lorsque je l'ai sorti du magasin
Or it was full of moissanites and cubics but the jeweller knew i was stupid and that i couldnt prove it.Ou il était plein de moissanites[?] et de défauts mais le joallier savait que j'étais stupide et que je ne pourrais pas le prouver
Feeling like i need it because i do music, to impress the groupies and the interviewers. Je sentais que j'en avais besoin parce que je fais de la musique, pour impressionner les groupies et les journalistes
So i didnt appraise it, nor did i loop it, even gave em to my girl, thinkin i was cupid.Donc je ne les ai pas fait évaluer ni sertir, ni même donné à ma copine, pensant que j'étais cupide
Homies was all hate hoping they could make me lose it, creeping through my own hood knew i had to remove it.Ceux d'ici avaient la haine espérant qu'ils pourraient me le faire perdre, se faufilant dans mon propre quartier sacahnt que je devrais le retirer
I see the Russian Mafia, the Jewish Mobsters, the undercover terrorists and the traps for the hustlers. Je vois la mafia russe, les gangsters juifs, les terroristess planqués et les pièges pour les opportunistes
Homie its a wrap for the nonsense rhyming, props to Kanye i call this Conflict Diamonds. Compatriote, c'est un emballage pour des rimes qui n'ont pas de sens, grâce à Kanye, j'appelle cela les diamants de conflit.

La version de Nas :

They dug me out the soil in the Mines of the Motherland Now I’m misplaced, one hand to another hand Illegal smugglin’, people strugglin’ Wish they could just throw me back in the mud again Yeah, guess that’s how we got here Slave Trade then the Diamond Trade Every child’s afraid When his Mother and Father get sprayed Forced in the Army, young killer Brigade Gets a new name and then he give his nose glue Til’ his mind can’t take what he’s gon’ through Lookin’ in that dirt for that ice so blue Then The Royal Family, the ice goes to And this thing has to change, feelin’ half-ashamed As I rap with my Platinum chain When you shop for a gift for me You think about the misery? The same way we made Apartheid History We can do the same thing to the conflict ice But everybody wanna shine, right? Mais tout le monde veut que sa brille, non ?

[HooK: Nas]
Everybody wants Heaven but nobody wants dead
Everybody wants Diamonds without the Bloodshed
Everybody wants Heaven but nobody wants dead
Everybody wants Diamonds without the Bloodshed
They wanna Shine on ‘em
Shine on ‘em <– 7X

[Verse 2: Nas]
My VVS glimmers on my chest
200-thou-encrusted watch on my wrist
I wonder how people starve to death
When God bless the land that lacks the harvest
The stone’s equality, but they homes are poverty
And the whole world ignores the robbery
Bought my girl pretty rocks when she’s mad at me
Tear-drop shaped, uh, perfect Clarity
It shocks, so many are killed annually
‘Cause of greed, lust, and pure Vanity
Stop talkin’ and do somethin’ about it
Every Holiday Season, Jewelry stores crowded
Kids snatched from their homes, Mutilated alive
Husbands separated from wives, keep a Jesus piece to be fly
But back in the day there was a time when they called us shine

[HooK: Nas]
Everybody wants Heaven but nobody wants dead
Everybody wants Diamonds without the Bloodshed
Everybody wants Heaven but nobody wants dead
Everybody wants Diamonds without the Bloodshed
They wanna shine on ‘em
Shine on ‘em <– 7X


Retrouvez beaucoup d'autres articles sur le rap, son histoire et sa géographie dans le coin des Fly-Girls et des B-Boys.

jeudi 5 février 2009

140. Alpha Blondy : "Sciences sans conscience" (1992)

[Page de l'édition originale de 1542, source]

"science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

François Rabelais, Pantagruel, chap. 8 ,1532.


Ancien moine féru de grec et de médecine, François Rabelais publie, avec Pantagruel, son premier roman en 1532. Le livre est censuré en 1543 comme ses autres ouvrages pour ses attaques contre les théologiens de la Sorbonne. Ayant beaucoup voyagé en bon humaniste (en Italie notamment), il est obligé de se réfugier un temps à Metz, alors terre d'Empire.

Le roman est une sorte de parodie des romans de chevalerie qui raconte la vie du géant Pantagruel depuis son éducation jusqu'à ses combats contre les envahisseurs Dipsodes. Pantagruel est accompagné de Panurge, étudiant marginal et provocateur. Derrière l'apparence d'une farce, Rabelais se penche sur la question du savoir et dresse les contours de l'éducation humaniste par opposition à l'éducation en vigueur telle que la dénonce Erasme dans son Eloge de la folie (1509). C'est dans la lettre du père Gargantua à son fils Pantagruel qu'apparaît la fameuse citation. En faisant cette recomandation à son fils, Gargantua invite à faire preuve de discernement et d'intelligence dans l'utilisation des progrès apportés par la science. La phrase complète invite d'ailleurs à s'en remettre à Dieu pour cela, signe que le moine défroqué qu'était Rabelais nétait pas pour autant devenu athée.

Cette réflexion de Gargantua a inspiré beaucoup de monde depuis le XVIème siècle jusqu'au chanteur ivoirien Alpha Blondy dans son album Masada (1992).

Alpha Blondy est Ivoirien et chanteur de Reggae. Il est un messager infatigable de la paix depuis près de 30 ans. La crise que traverse son pays la Côte d'Ivoire depuis la fin des années 1990 a donné à son message une plus grande actualité.

La chanson de Blondy, "Sciences sans consciences", dénonce les méfaits des progrès scientifiques mal utilisés sur l'environnement (radioactivité, asphyxie de la terre) et dans les relations internationales (armes chimiques et bactériologiques).

Lisez le portrait d'Alpha Blondy et de l'autre figure du Reggae ivoirien, Tiken Jah Fakoly, par Julien Blottière.



Voici les paroles :

Sciences sans conscience
N'est que ruine de l'âme

Sciences sans conscience

N'est que ruines et larmes


Je ne m'y connais pas en balistique

Je me méfie de la politique

Armes chimiques ou bactériologiques

Défient toutes les lois de la logique…

Je vous dis…


Sciences sans conscience

N'est que ruine de l'âme

Sciences sans conscience

N'est que ruines et larmes

Devant l'escalade de la violence

L'homme découvre son impuissance

Il appelle à l'aide le maître du temps

C'est un S.O.S. si tu m'entends


Sciences sans conscience

N'est que ruine de l'âme

Sciences sans conscience

N'est que ruines et larmes


Les océans sont radioactifs

Avec les missiles qui réfléchissent

La terre entière s'asphyxie

C'est un vrai suicide collectif


Sciences sans conscience

N'est que ruine de l'âme

Sciences sans conscience

N'est que ruines et larmes



La première fois que j'ai entendu cette chanson, c'était dans le métro... avant de savoir qu'Alpha Blondy en était l'auteur.

Exemple de "Sciences sans consciences" souvent évoqué, l'utilisation de la bombe atomique sur Hiroshima. Sur ce sujet, lisez l'article de J. Blottière sur la chanson de Nougaro "Il y avait une ville" et mon article sur le manga Gen d'Hiroshima.

mercredi 4 février 2009

139. Eddy Mitchell : "Il ne rentre pas ce soir"

A partir des années 70, le chômage de masse devient une donnée essentielle de l'économie des sociétés occidentales. La fin de la prospérité des trente glorieuses, l'essor de la robotisation et de l'informatisation qui réduisent les besoins en main d'oeuvre, les débuts d'une mondialisation de plus en plus compétitive et enfin le choc des crises pétrolières à entraîné des licenciements massifs dans les grands bassins industriels du textile, du charbon et de l'acier, puis, par contrecoup a touché tous les secteurs de l'économie.

Plafonnée à 100 000 personnes pendant les années 60, le taux de chômage s'envole et devient le principal sujet de préoccupation pendant les années 70-80. 1 million de chômeur en 1975, 2 millions en 1982, 3 millions en 1998. Et là encore ce ne sont que ceux qui sont pleinement reconnus comme tels par les organismes officiels, il faudrait rajouter un nombre équivalent de stagiaires, précaires ou radiés des listes de compte





Jusqu'aux années 90, le chômage est vécu comme une tragédie par ceux qui en sont frappés. D'autant qu'il ne se limite pas uniquement aux ouvriers mais se met à toucher toutes les classes de la société, y compris les cadres et les dirigeants qui malgré leur position éminente dans l'entreprise ne sont pas à l'abri d'être « dans la charrette » du prochain plan de restructuration ou du rachat soudain de leur boite par un concurrent. La charrette, un terme qui renvoie à ces condamnés à la guillotine que l'on amenait ainsi vers l'échafaud pendant la Révolution. Un mot qui rend bien l'ambiance d'angoisse qui règne dans les entreprises de l'époque.

Pour le chômeur, le licenciement est vécu comme un drame, un échec personnel qui fait de lui un déclassé. Il faudra attendre les années 90 et l'installation durable de ce phénomène pour qu'il commence à devenir un passage presque obligé du parcours professionnel du travailleur occidental et qu'il ne soit plus vécu comme une tragédie qui fait du licencié un objet d’apitoiement.

En 1978, Eddy Mitchell sur une musique de Pierre Papadiamandis compose une chanson qui raconte la dégringolade d'un de ces cadres supérieurs soudainement licencié de son entreprise. Comme souvent dans les chansons d'Eddy Mitchell, cela prend la forme d'une ballade qui raconte un moment précis dans la vie d'un personnage. Un canevas bien rôdé qui plonge l'auditeur dans une tranche de vie comme dans la dernière séance qui raconte la disparition des petites salles de cinémas de quartier remplacés par ce qu'on appellera bientôt les multiplexes dans la grande frénésie immobilière des années 70-80

Ici, c’est la soirée et l’errance d’un cadre supérieur bien installé dans son entreprise, qui vient d’apprendre sa brutale mise à la porte après le rachat de sa société par une multinationale. D'autant que rebondir et retrouver un emploi la cinquantaine venue est (et demeure) extrêmement difficile.


Il écrase sa cigarette
Puis repousse le cendrier,
Se dirige vers les toilettes,
La démarche mal assurée.
Il revient régler ses bières,
Le sandwich et son café.
Il ne rentre pas ce soir.

Le grand chef du personnel
L'a convoqué à midi :
"J'ai une mauvaise nouvelle.
Vous finissez vendredi.
Une multinationale
S'est offert notre société.
Vous êtes dépassé
Et, du fait, vous êtes remercié."
Il n'y a plus d'espoir, plus d'espoir.
Il ne rentre pas ce soir.
Il s'en va de bar en bar.
Il n'y a plus d'espoir, plus d'espoir.
Il ne rentre pas ce soir.

Il se décide à traîner
Car il a peur d'annoncer
A sa femme et son banquier
La sinistre vérité.
Etre chômeur à son âge,
C'est pire qu'un mari trompé.
Il ne rentre pas ce soir.

Fini le golf et le bridge
Les vacances à St Tropez,
L'éducation des enfants
Dans la grande école privée.
I1 pleure sur lui, se prend
Pour un travailleur immigré.
Il se sent dépassé
Et, du fait, il est remercié.
I1 n'a plus d'espoir, plus d'espoir.
I1 ne rentre pas ce soir.
Il s'en va de bar en bar.
Il n'a plus d'espoir, plus d'espoir.
Il ne rentre pas ce soir.




C'est toute la dureté de nouvelles pratiques nées des transformations économiques qui sont décrites ici. C’est la crise et la nouvelle compétition économique. Une transformation qui va prendre tout son sens dans les années 80 à venir. L'emploi à vie et la carrière pantouflarde sont les vestiges d'un autre temps. Le temps est aux requins de la finance et aux jeunes loups compétitifs. Trop vieux, le protagoniste de la chanson se sent dépassé par la compétition économique effrénée

Au travers de cette chanson, on a aussi une vue en coupe de ce qui est la réussite sociale mais aussi d'une certaine mentalité bourgeoise dans les années 70. Le malheureux héros de cette histoire se remémore tous les symboles de la position sociale : le golf et le bridge, loisirs de classe. Les vacances à Saint-Tropez qui symbolise encore le luxe sur la Côte d’Azur, l'école privée prestigieuse pour assurer la réussite des enfants. Comme le reprend la chanson, le chômage est alors vécu comme un déclassement, une perte de statut social. La comparaison avec le statut précaire du travailleur émigré en devient d’autant plus cruel mais illustre bien la vision sociale dans ces années 70.

Comme souvent une simple ballade de variété se fait le reflet des angoisses de la société de son temps. Une angoisse toujours présente même si le chômage est par la force des choses désormais entré dans les mœurs…

Lien:
- "Le cimetière des éléphants. La philosophie sauvage d'Eddy Mitchell."